de Dieu avec ses créatures. Il nous est donc impossible de nous en occuper ici, même sous le point de vue historique. Quant à savoir comment s’opère l’association de l’âme et du corps, il existe sur ce sujet plusieurs hypothèses que nous nous bornerons à indiquer sommairement ; car le problème en lui-même, conçu comme il l’a été jusqu’à présent, échappe à tous les procédés de la science. Les uns ont pensé que notre vie actuelle n’est que la conséquence d’une vie antérieure ; que, par conséquent, toutes les âmes ont existé avant d’appartenir à ce monde, et que chacune d’el’es, poussée par une force irrésistible, choisit naturellement le corps dont elle est digne par son existence passée. Ce sentiment. très-repandu en Orient, enseigné par Pythagore, développé avec beaucoup d’éloquence dans les Dialogues de Platon, adopté aussi par quelques Pères de l’Eglise, entre autres par Ori— gène (Huet, Origeniana, liv. Il, c. n, quest. 6), est celui qu’on appelle le dogme de la préexistence. Selon les autres, à mesure qu’un corps est sur le point de naître, Dieu crée pour lui une âme nouvelle ; et par conséquent le nombre des naissances decide absolument du nombre des âmes. Cette opinion encore avait cours chez plusieurs Pères de l’Église, chez les Pélagiens^ qui croyaient délivrer par ce moyen la liberte humaine du dogme de la prédestination, et chez tous les philosophes scolastiques, qui avaient la naïveté de la croire parfaitement d’accord avec le système d’Aristote. Ils appliquaient à l’âme ce que ce philosophe a dit de l’intelligence active, à savoir : qu’elle est immortelle et qu’elle vient du dehors (de Anima, lib. III, c. v). Enfin on a imaginé une troisième hypothèse d’après laquelle toutes les âmes, après avoir existé en germe dans notre premier père, se propagent comme les corps par la génération physique. Cette doctrine, soutenue d’abord par Tertullien (de Anima, c. xix), reprise ensuite par Luther, qui la trouvait conforme au dogme du péché originel, fut aussi défendue par Leibniz comme la seule où la philosophie et la théologie pussent se rencontrer. Voici de quelle manière il s’exprime à ce sujet (Essais de Théod., lre part., § 91) : « Je croirais que les âmes qui seront un jour âmes humaines, comme celles des autres espèces, ont été dans les semences et dans les ancêtres jusqu’à Adam, et ont existé, par conséquent, depuis le commencement des choses, toujours dans une manière de corps organisé. » Mais Leibniz ajoute que des âmes, d’abord purement sensitives ou animales, ne reçoivent la raison qu’à la génération des hommes à qui elles doivent appartenir. C’est le système général des monades appliqué au principe spirituel de la nature humaine.
4° On a demandé, enfin, si l’on pouvait reconnaître chez les bêtes comme chez les hommes une âme ou un principe immatériel, quoique voué à la mort, et privé d’un grand nombre de nos facultés. Ici. comme dans les questions précédentes, des solutions très-diverses viennent s’offrir à nous. Nous laisserons de côté les solutions matérialistes, fondées sur une négation absolue du principe spirituel, pour ne parler que de celles qui reconnaissent dans l’homme et au— dessus de lui l’existence de ce même principe. La plus ancienne de toutes est sans contredit le svs— tème de la métempsycose qui fait des corps des animaux comme autant de lieux de châtiment pour les âmes humaines. Cependant nous ferons remarquer que, outre ces âmes captives et déchues, condamnées à expier dans une organisation plus grossière les fautes d’une vie antérieure, l’vthagore et Platon reconnaissaient aussi chez κ-s bêtes un principe particulier, l’âme sensitive (τό επιθυμητικών), le même que celui à qui ils confiaient chez l’homme les fonctions de la vie matérielle. Anaxagore n’admettait aucune différence essentielle entre l’âme des animaux et celle des hommes ; ce qui, d’après lui, donnait aux uns et aux autres le mouvement, la sensibilité et la vie, c’était l’intelligence universelle, l’âme du monde, le voûc, qui après avoir tiré la nature du chaos, se montrait également chez tous les êtres animés dans des proportions analogues à leurs différentes organisations. Aristote, comme nous l’avons déjà dit, reconnaissait sous le nom d’âme autant de principes différents qu’il y a de degrés principaux dans la vie. Il n’admettait donc chez les bêtes qu’une âme sensitive et motrice, à laquelle il faut joindre l’âme nutritive, commune à tous les êtres organisés. Cette opinion, consacrée en quelque sorte par la théologie scolastique, a régne paisiblement jusqu’à l’avéne— ment de la philosophie cartésienne.Descartes ayant fait consister l’essence de l’àme dans la pensée, et s’étant imaginé, d’un autre côté, que les fonctions vitales peuvent être expliquées par des lois purement mécaniques, a été naturellement conduit à regarder les animaux comme de vraies machines, comme des automates privés d’instinct et de sensibilité. Les phénomènes que nous observons en eux ne sont que des mouvements produits par les esprits animaux, c’est-à-dire par des corps extrêmement subtils qui se dégagent du sang échauffé par le cœur, se répandent dans le cerveau, de là dans les nerfs, et vont ensuite ébranler les muscles (voy. les Lettres de Descartes, principalement les lettres xxvr, xl, xli, etc.). Le fond de cette hypothèse avait déjà été imaginé par un médecin espagnol du xvi® siècle, appelé Gomesius Pereira, auteur d’un ouvrage très-obscur, publié pour la première fois à Médine en 1554, sous le titre bizarre d'Antoniana Margarita. Mais il ne fallait rien moins que le génie de Descartes pour donner quelque crédit à un paradoxe aussi etrange. La monadologie de Leibniz rendit aux bêtes leur âme sensitive ; car, lorsque tout dans l’univers est composé de principes spirituels, de monades où la vie et l’intelligence sont plus ou moins développées, il est impossible de ne pas reconnaître chez les animaux une âme inférieure à celle de l’homme. Bufl’on essaya vainement de réhabiliter le paradoxe cartésien ; mais Condillac, dans son traité des Animaux, alla trop loin lorsque, en réfutant le célèbre naturaliste, il accorda à la brute les mêmes facultés qu’à l’homme, n’établissant entre eux d’autre différence que celle qui résulte de leurs besoins, et ne voyant dans ces besoins eux-mêmes qu’un effet de l’organisation. La psychologie actuelle, exclusivement n^kiccupée de l’homme, dont la connaissance 61* pour elle le po nt de départ de toute philosophie, n’a pas encore eu le temps d’arriver à cette question. Mais, à vrai dire, elle se trouve toute résolue par les éléments que nous fournit notre propre conscience. Si, d’une part, certains faits extérieurs par lesquels se manifestent spontanément les plus grossiers instincts et les passions de l’homme, se montrent aussi chez les animaux provoqués par les mêmes causes et gouvernés par les mêmes lois ; j’entends des causes et des lois physiques ; si, d’un autre côté, il est psychologiquement démontré que ni le désir, ni la sensation, ni l’initiative du mouvement ne sauraient appartenir à un sujet divisible et étendu, il est bien évident qu’il faut admettre chez la brute un principe immatériel, une force douée de vie et de sensibilité dont les organes ne sont que les instruments. Cette force, on l’appellera si l’on veut une âme, pourvu qu’on n’oublie pas l’immense intervalle qui la sépare de l’àme