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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/70

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toutes les créatures vivantes, ne sont pas les seuls objets de notre amour ; notre âme ; suf­fisamment développée, se sent aussi entraînee par un charme irrésistible vers un monde tout idéal, vers certains types absolus, constamment pré­sents à notre intelligence, et aont nous ne trouvons dàns les choses qui nous entourent que d’infidèles copies : telles sont les idées universelles et néces­saires du beau, du bien et du vrai. N’est-ce pas l’amour de la vérité en elle-même qui a donné naissance à toutes les sciences spéculatives et sur­tout à la philosophie, qui a, comme la religion, ses martyrs et ses héros ? N’y a-t-il pas en nous un sentiment du bien, un sentiment du juste, devant lequel nous nous croyons obligés d’imposer silence à tous nos intérêts et à toutes nos affec­tions ? Ce sentiment, sans doute, ne saurait exister sans l’idée du bien ; mais l’idée, à son tour, ne serait qu’une forme stérile de notre intelligence, sans l’amour, qui nous porte i la réaliser. Nous ferons la même remarque sur le beau, que nous aimons d’un amour plus ardent, plus enthousiaste, mais moins persévérant peut-être que le bien et le vrai ; nous l’aimons pour lui-même et non pour les nobles jouissances que sa présence nous ap­porte ; nous l’aimons enfin d’autant plus que nous approchons davantage de son essence absolue et purement intelligible. C’est cet amour que Platon décrit avec tant d’éloquence dans ses immortels dialogues, et auquel il a donné son nom.

Le beau, le bien et le vrai, quand on les con­sidère chacun à part, ne sont sans doute que des idées, que de pures conceptions de notre intelli­gence. Mais puisque nous les concevons comme universels et nécessaires, nous sommes bien forcés de leur attribuer, en dehors de notre esprit, et en dehors des choses finies de ce monde, une existence réelle, c’est-à-dire que nous devons leur donner pour substance Dieu lui-même, car il n’y a que Dieu au-dessus de nous et de l’univers. Dieu est donc le vrai, le bien et le beau dans leur essence la plus pure ; ils forment en lui la plus parfaite unité. Or, si chacune de ces trois formes de l’absolu est pour nous l’objet d’un amour si puissant, que ne devons-nous pas éprouver pour l’être absolu, considéré dans la plénitude de son existence, dans l’ensemble de ses perfections in­finies ? L’amour de Dieu ne saurait se décrire ; car il n’y a que Dieu lui-même qui puisse l’éprouver dans toute son étendue ; il n’y a qu’un être infini qui soit capable d’un amour infini. Pour nous, assujettis aux misères de cette vie, nous y mêlerons toujours ou nos affections, ou nos préoccupations terrestres, ou tout au moins le sentiment de notre existence, le soin de notre liberté, sans laquelle nous ne sommes plus rien dans le monde moral. Ceux qui, oubliant les conditions de notre nature finie, n’ont pas voulu reconnaître d’autre règle dans le vrai et dans le bien que l’amour de Dieu dans sa pureté absolue, les mystiques, en un mot, n’ont abouti qu’au fatalisme, à l’anéantissement de la liberté, de la réflexion, des devoirs les plus positifs de la vie. Aussi quelques-uns n’ont-ils pas voulu s’arrêter en si beau chemin : du fatalisme ils ont été conduits à l’anéantissement de l’homme tout entier, c’est-à-dire au panthéisme (voy. les ar­ticles Mysticisme et Panthéisme).

Nous ne connaissons sur l’amour, considéré d’un point de vue philosophique, que ces deux écrits : le Banquet de Platon, et l’ouvrage de Léon l’Hébreu intitulé : Dialoghi diamore, com­posti da Leone medico, di nazione Ebreo, e di poi fatto cristiano, in-4, Rome, 1535, et Venise,

1541. Il existe dans notre langue trois traductions de cet ouvrage.

ampère (André-Marie), physicien, mathéma­ticien, philosophe, naquit à Lyon, le 22 juin 1775, de commerçants peu aisés, qui, peu après sa nais­sance, se retirèrent au village de Poleymieu.v, près ue Lyon. Ce n’est pas sans raison que cet illustre savant fut toujours tourmenté do la pensée qu’il aurait pu faire beaucoup plus qu’il n’avait fait. Car. sans parler de fonctions officielles aux­quelles il se condamnait pour suffire aux dépenses d’un ménage mal administré, par exemple des tournées d’inspection générale de l’Université, qui n’allaient pas bien avec ses habitudes d’esprit et avec ses distractions perpétuelles, il faut aire qu’une grande et précieuse partie de son temps fut employée à des projets et à des travaux qu’il abandonnait ensuite. Il faut en chercher la cause en partie dans la vivacité trop peu réglée de son imagination et dans son esprit naturellement aventureux, en partie dans le défaut de direction de son éducation première, qui laissa se dé­velopper au hasard ses prodigieuses facultés. Dans son village, le jeune Ampère s’instruisit comme il put, sans autres maîtres que son père et les livres de la bibliothèque paternelle : œuvres d’éloquence sacrée et profane, d’histoire, de poé­sie, de fiction romanesque, tout lui plaisait. Mais surtout, avec une mémoire aussi prompte que tenace, l’enfant étudia les vingt volumes in— folio de l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot, qu’il concilia comme il put avec les sentiments de piété profonde dans lesquels il était élevé. Quand la bibliothèque paternelle ne lui suffit plus, son père le mena de temps en temps à Lyon, où il put étudier dans la bibliothèque publique. Dès sa plus tendre enfance, il avait montré un goût et une aptitude extraordinaires pour les mathé­matiques. Quelques leçons de latin et de calcul différentiel, données généreusement par le savant bibliothécaire de Lyon, l’abbé Daburon, mirent cet enfant de douze ans en état de comprendre les œuvres mathématiques d’Euler et de Ber nouilli. Plus tard, il apprit le grec. A treize ans, il présentait à l’Académie de Lyon deux mémoires sur deux problèmes insolubles, sur la quadrature du cercle et sur la rectification des arcs de cercle. A dix-huit ans, suivant son propre témoignage, il savait autant de mathématiques qu’il en sut ja­mais. Pourtant combien d’autres choses il avait apprises avant cette fatale époque de 1793 ! Il sa­vait à fond toutes les matières traitées dans V En­cyclopédie. L’article Langue l’avait spécialement frappé : ayant éprouvé les inconvénients de la diversité des langues, il avait créé de toutes pièces une langue destinée à tenir lieu de la langue primitive et unique du genre humain et à devenir universelle. Il en avait écrit la gram­maire et le dictionnaire, restés inédits, et il composait, en cette langue, qui était bien la sienne, des poésies intelligibles pour lui seul.

En 1793, son père, devenu juge de paix à Lyon, fut guillotiné, comme aristocrate, après le siège de cette ville. Cet affreux malheur abattit le jeune homme au point d’altérer sa raison ; pendant plus d’un an il vécut à Poleymieux dans un état voisin de l’idiotisme. Puis les Lettres de Jean-Jacques Rousseau sur la botanique, l’étude de cette science, au milieu des champs, et la lecture des poètes latins, lui rendirent son activité intellec­tuelle et une sensibilité vive ? qui se portèrent surtout vers la poésie française, et qui produi­sirent plusieurs essais de tragédies et de grands poèmes. En 1796, une rencontre fortuite fit naître soudainement en lui une passion aussi vive que ure, dont il a écrit par fragments^ la touchante istoire, et qui, après trois années d’attente, aboutit à un mariage. Mais auparavant, n’ayant pas de fortune, il avait dû se laisser imposer une carrière, dans laquelle il avait débuté en donnant