Aller au contenu

Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/726

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le syllogisme, la conséquence, dans la démonstration, toute une suite de conséquences liées entre elles. Or, la science, à proprement parler, est la conséquence des conséquences.

Quand donc on va en raisonnant de la proposition au syllogisme, du syllogisme à la démonstration, on unit, on additionne ; quand on prend la marche contraire, on souscrit, on divise, on résout la somme en des éléments, la démonstration en syllogisme, le syllogisme en propositions, les propositions en noms (de Homine, p. 20). Le procédé, dans tout son jeu, n’est donc réellement qu’une sorte d’arithmétique appliquée à la combinaison des mots et des idées, des idées par les mots.

Pour bien employer cet instrument, il y a un art et des règles, dont la violation entraîne l’erreur et l’absurdité. Le raisonnement n’est pas, de sa nature, un procédé défectueux, pas plus que l’arithmétique n’est en elle-même incertaine ; mais, tant qu’il n’est pas mis en œuvre avec la plus grande précision, il ne peut donner, même aux plus habiles, que de faux et vains résultats (de Homine, p. 24). Or, par où est-il surtout sujet à faillir et à se pervertir entre des mains qui ne s’en servent pas avec diligence et rigueur ? C’est par les mots, qu’on ne définit pas, dont on néglige de fixer le sens et l’acception, et qui sont alors comme des chiffres dont on ignore la valeur. Raisonner alors, c’est compter sans savoir ce que l’on compte, c’est opérer sur des signes qui n’ont rien de déterminé.

L’essentiel, lorsqu’on raisonne, est donc de bien définir les termes. D’exactes définitions sont les seuls principes dont on doive partir, et à l’aide desquels on puisse atteindre le but réel de la science, la connaissance par démonstration.

Mais on n’a ces définitions que par une sévère analyse soit des faits, soit des causes qui entrent comme éléments dans les faits ou dans les causes dont on veut se rendre compte ; en d’autres termes, il y a des causes et des faits moins généraux que d’autres, et qui pour cela sont singuliers : il y en a de plus généraux, et qui par là même sont universels ; tout ce qui est singulier est composé : tout ce qui est universel est simple ou, si l’on veut, moins composé, et ces deux choses sont l’un à l’autre comme le composé est au composant. Définir sera donc décomposer le singulier, le résoudre en universel, et exprimer le tout dans une proposition, dont l’attribut, comme le dit Hobbes, sera résolutif du sujet, subjecti resolutivum (Log., p. 45 et 46). Ainsi, dès que l’on connaîtra bien les éléments universels d’un objet singulier, on pourra raisonner de cet objet, lui appliquer le calcul, et se livrer à la science.

Outre cette théorie du raisonnement, ou plutôt au fond de cette théorie, se trouve aussi dans la logique de Hobbes ce qu’on a appelé avec raison son nominalisme. Hobbes, en effet, est nominaliste dans toute la force du terme ; il l’est comme Roscelin, et s’il n’a pas dit comme lui que les universaux ne sont que des mots, vocis flatus, il a dit (Log., p. 53) : Genus et universale, nominum, non rerum, nomina sunt ; il a dit : Veritas in dicto non in re consistit. La vérité est dans les mots, non dans les choses. Il va, en ce sens, aussi loin qu’on peut aller.

Après ces idées sur la logique, Hobbes, selon le plan qui a été indiqué plus haut, pusse à la philosophie proprement dite, et d’abord à ce qu’il appelle la philosophie naturelle, ou qui traite du corps naturel, par opposition à la philosophie civile, qui traite de la cité ou du corps artificiel. Dans la philosophie naturelle, il s’occupe d’abord, mais rapidement, de la philosophie première.

Dans la philosophie première, il disserte du temps et de l’espace, du corps et de l’accident, de la cause et de l’effet, de la puissance et de l’acte, du même et du divers, de tous les objets, en un mot, qui sont plus particulièrement du ressort de la métaphysique ; il en disserte conséquemment à l’esprit de toute sa doctrine, c’est-à-dire en sensualiste.

Il explique l’espace à l’aide de cette supposition : Si l’univers tout entier venait à être détruit, que resterait-il dont il pût raisonner ? Les idées ou les images, internes quant à l’âme, auraient quelque chose d’externe quant aux choses qu’elles rappelleraient : en raisonner sous ce rapport, serait comme raisonner de ces choses elles-mêmes, et dans la science du sujet faire celle de l’objet. Eh bien, cette hypothèse n’est au fond que la réalité. Ce que nous étudions des corps, même lorsque nous les avons en notre présence, ce ne sont pas ces corps eux-mêmes, mais les images que nous en avons. Sur ce sujet, Hobbes tient à peu près le même langage que Malebranche (Philosophie première, p. 49) ; seulement ici les idées sont en nous au lieu d’être en Dieu, et au lieu d’être spirituelles, elles ont quelque chose de corporel.

Donc, quand il arrive qu’en voyant un être dans son idée, nous l’y voyons non comme étant de telle ou telle manière, mais simplement comme étant, nous avons ce qu’on appelle l’espace. Hobbes le définit l’image d’une chose qui existe, en tant qu’elle existe, phantasma rei existentis, quatenus existentis (ubi supra, p. 50).

Il en est de même à peu près du temps : il est l’image qu’un corps passant d’un lieu à un autre par une succession de mouvements laisse empreinte dans l’intelligence ; il est une image, phantasma, et l’image d’un mouvement, dans lequel nous remarquons de l’avant et de l’après (ubi supra, p. 51).

Par conséquent, le diviser comme diviser l’espace, c’est avoir autant d’images de pures existences extérieures ou de mouvements successifs qu’on y conçoit de parties.

Même explication de l’addition d’un temps à un autre temps, d’un espace à un autre : le temps et l’espace se composent de la même manière qu’ils se décomposent.

Pour ce qui est de leurs limites, ils sont finis lorsque le nombre de leurs parties peut être fixé, et infinis quand il ne le peut pas. Au fond, ils ne sont pas infinis, mais seulement indéfinis.

Ce n’est pas ici le premier ni le seul rapprochement qu’il y ait à faire entre Hobbes et Locke ; mais il est assez important pour que, sans y insister beaucoup, on l’indique cependant. Sauf la teinte nominaliste, qui n’est pas aussi prononcée dans Locke que dans Hobbes, ils ont même doctrine, au fond, sur le temps et l’espace ; ils réduisent tous deux l’espace et l’étendue, et le temps à la succession, ce qui est comme identifier le contenant avec le contenu, l’infini avec le fini ; ce qui est nier, par conséquent, le conséquent, le contenant, l’infini, et, au lieu de la chose même, ne garder que ce qui en est pour l’esprit l’occasion de conception.

De l’espace et du temps, Hobbes passe au corps et à l’accident. Ici, rien de particulier, sinon la définition de l’accident, que Hobbes n’entend pas dans le sens adopté par d’autres philosophes, qui opposent, dans leur langage, l’accident à l’essence, comme le variable au constant, le particulier au général ; l’accident, selon lui, est essentiel à la substance.

De la cause et de l’effet, de la puissance et de