Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concrets et vous chercherez, pour autant que vous le pourrez, à remonter à leur sens primitivement concret. Vous serez, par exemple, enchantés de pouvoir représenter la « possession » (Besitzen) d’un objet par sa signification concrète qui est celle d’être assis sur (daraufsitzen) cet objet. Le travail d’élaboration ne procède pas autrement. À une représentation faite dans ces conditions, il ne faut pas demander une trop grande précision. Aussi ne tiendrez-vous pas rigueur au travail d’élaboration s’il remplace un élément aussi difficile à exprimer à l’aide d’images concrètes que l’adultère (Ehebruch)[1] par une fracture du bras (Armbruch)[2]. Connaissant ces détails, vous pourrez dans une certaine mesure corriger

  1. Ehebruch, littéralement : rupture de mariage.
  2. Pendant que je corrigeais les épreuves de ces feuilles, il m’est tombé par hasard sous les yeux un fait divers que je transcris ici, parce qu’il apporte une confirmation inattendue aux considérations qui précèdent :
    Le Châtiment de Dieu.

    Fracture de bras (Armbrusch) comme expiation pour un adultère.(Ehebruch).

    La femme Anna M…, épouse d’un réserviste, dépose centre la femme Clémentine K… une plainte en adultère. Elle dit dans sa plainte que la femme K… avait entretenu avec M… des relations coupables, alors que son propre mari était sur le front d’où il lui envoyait même 70 couronnes par mois. La femme K… avait déjà reçu du mari de la plaignante beaucoup d’argent, alors que la plaignante elle-même et son enfant souffrent de la faim et de la misère. Les camarades de M… ont rapporté à la plaignante que son mari a fréquenté avec la femme K… des débits de vin ou il restait jusqu’à une heure tardive de la nuit. Une fois même la femme K… a demandé au mari de la plaignante, en présence de plusieurs fantassins, s’il ne se déciderait pas bientôt à quitter sa vieille, pour venir vivre avec elle. La logeuse de K… a souvent vu le mari de la plaignante dans le logement de sa maitresse, en tenue plus que négligée. Devant un juge de Leopoldstadt, la femme K… a prétendu hier ne pas connaitre M… et nié par conséquent et à plus forte raison toutes relations intimes avec lui.
    Mais le témoin Albertine M… déposa qu’elle avait surpris la femme K… en train d embrasser le mari de la plaignante.
    Déjà entendu au cours d’une séance antérieure à titre de témoin, M… avait à son tour, nié toutes relations avec la femme K… Mais hier le juge reçoit une lettre dans laquelle M… retire son témoignage fait précédemment et avoue avoir eu la femme K… pour maitresse jusqu’au mois de juin dernier. S’il a nié toutes relations avec cette femme, lors du précédent interrogatoire ce fut parce qu’elle était venue le trouver et l’avait supplié à genoux de la sauver en n’avouant rien. Aujourd’hui, écrivait le témoin, je me sens forcé à dire au tribunal toute la vérité car, m’étant fracturé le bras gauche, je considère cet accident comme un châtiment que Dieu m’inflige pour mon péché.
    Le juge ayant constate que l’action punissable remontait à plus d’une année, la plaignante a retiré sa plainte et l’inculpée a bénéficié d’un non-lieu.