Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/257

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Ce proverbe n’est pas difficile à comprendre. Il peut signifier : moins on a vu de choses, et plus on est porté à admirer. Ou : il y a beaucoup à admirer pour celui qui a peu vu. Il ne peut naturellement pas être question d’une décision entre ces deux traductions qui ne diffèrent que grammaticalement. On nous assure cependant que, malgré ces indéterminations, la langue chinoise constitue un excellent moyen d’échange d’idées. L’indétermination n’a donc pas pour conséquence nécessaire la multiplicité de sens.

Nous devons cependant reconnaître qu’en ce qui concerne le système d’expression du rêve, la situation est beaucoup moins favorable que dans le cas des langues et écritures anciennes. C’est que ces dernières sont, après tout, destinées à servir de moyen de communication, donc à être comprises d’une façon ou d’une autre. Or, c’est précisément ce caractère qui manque au rêve. Le rêve ne se propose de rien dire à personne et, loin d’être un moyen de communication, il est destiné à rester incompris. Aussi ne devons-nous ni nous étonner ni nous laisser induire en erreur par le fait qu’un grand nombre de polyvalences et d’indéterminations du rêve échappent à notre décision. Le seul résultat certain de notre comparaison est que les indéterminations, qu’on avait voulu utiliser comme un argument contre le caractère concluant de nos interprétations de rêves, sont normalement inhérentes à tous les systèmes d’expression primitifs.

Le degré de compréhensibilité réel du rêve ne peut être déterminé que par l’exercice et l’expérience. À mon avis, cette détermination peut être poussée assez loin, et les résultats obtenus par des analystes ayant reçu une bonne discipline ne peuvent que me confirmer dans mon opinion. Le public profane, même à tendances scientifiques, se complaît à opposer un scepticisme dédaigneux aux difficultés et incertitudes d’une contribution scientifique. Bien injustement, à mon avis. Beaucoup d’entre vous ignorent peut-être qu’une situation analogue s’était produite lors du déchiffrement des inscriptions babyloniennes. Il fut même un temps où l’opinion publique alla jusqu’à taxer de « fumistes » les déchiffreurs d’inscriptions cunéiformes et à traiter toute cette recherche de « charlatanisme ». Mais en 1857 la Royal Asiatic Society