Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/41

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problèmes qui sollicitent notre temps et notre attention. »

À quoi je vous répondrai : « Patience ! Votre critique porte à faux. Certes, la psychanalyse ne peut se vanter de ne s’être jamais occupée de bagatelles. Au contraire, les matériaux de ses observations sont constitués généralement par ces faits peu apparents que les autres sciences écartent comme trop insignifiants, par le rebut du monde phénoménal. Mais ne confondez-vous pas dans votre critique l’importance des problèmes avec l’apparence des signes ? N’y a-t-il pas des choses importantes qui, dans certaines conditions et à de certains moments, ne se manifestent que par des signes très faibles ? Il me serait facile de vous citer plus d’une situation de ce genre. N’est-ce pas sur des signes imperceptibles que, jeunes gens, vous devinez avoir gagné la sympathie de telle ou telle jeune fille ? Attendez-vous, pour le savoir, une déclaration explicite de celle-ci, ou que la jeune fille se jette avec effusion à votre cou ? Ne vous contentez-vous pas, au contraire, d’un regard furtif, d’un mouvement imperceptible, d’un serrement de mains à peine prolongé ? Et lorsque vous vous livrez, en qualité de magistrat, à une enquête sur un meurtre, vous attendez-vous à ce que le meurtrier ait laissé sur le lieu du crime sa photographie avec son adresse, ou ne vous contentez-vous pas nécessairement, pour arriver à découvrir l’identité du criminel, de traces souvent très faibles et insignifiantes ? Ne méprisons donc pas les petits signes : ils peuvent nous mettre sur la trace de choses plus importantes. Je pense d’ailleurs comme vous que ce sont les grands problèmes du monde et de la science qui doivent surtout solliciter notre attention. Mais souvent il ne sert de rien de formuler le simple projet de se consacrer à l’investigation de tel ou tel grand problème, car on ne sait pas toujours où l’on doit diriger ses pas. Dans le travail scientifique, il est plus rationnel de s’attaquer à ce qu’on a devant soi, à des objets qui s’offrent d’eux-mêmes à notre investigation. Si on le fait sérieusement, sans idées préconçues, sans espérances exagérées et si l’on a de la chance, il peut arriver que, grâce aux liens qui rattachent tout à tout, le petit au grand, ce travail entrepris sans aucune prétention ouvre un accès à l’étude de grands problèmes. »