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Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/50

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question. Lorsqu’une dame connue pour son énergie raconte : « Mon mari a consulté un médecin au sujet du régime qu’il avait à suivre ; le médecin lui a dit qu’il n’avait pas besoin de régime, qu’il pouvait manger et boire ce que je voulais », — il y a là un lapsus, certes, mais qui apparaît comme l’expression irrécusable d’un programme bien arrêté.

Si nous réussissons à constater que les lapsus ayant un sens, loin de constituer une exception, sont au contraire très fréquents, ce sens, dont il n’avait pas encore été question à propos des actes manqués, nous apparaîtra nécessairement comme la chose la plus importante, et nous aurons le droit de refouler à l’arrière-plan tous les autres points de vue. Nous pourrons notamment laisser de côté tous les facteurs physiologiques et psychophysiologiques et nous borner à des recherches purement psychologiques sur le sens, sur la signification des actes manqués, sur les intentions qu’ils révèlent. Aussi ne tarderons-nous pas à examiner à ce point de vue un nombre plus ou moins important d’observations.

Avant toutefois de réaliser ce projet, je vous invite à suivre avec moi une autre voie. Il est arrivé à plus d’un poète de se servir du lapsus ou d’un autre acte manqué quelconque comme d’un moyen de représentation poétique. À lui seul, ce fait suffit à nous prouver que le poète considère l’acte manqué, le lapsus, par exemple, comme n’étant pas dépourvu de sens, d’autant plus qu’il produit cet acte intentionnellement. Personne ne songerait à admettre que le poète se soit trompé en écrivant et qu’il ait laissé subsister son erreur, laquelle serait devenue de ce fait un lapsus dans la bouche du personnage. Par le lapsus, le poète veut nous faire entendre quelque chose, et il nous est facile de voir ce que cela peut être, de nous rendre compte s’il entend nous avertir que la personne en question est distraite ou fatiguée ou menacée d’un accès de migraine. Mais alors que le poète se sert du lapsus comme d’un mot ayant un sens, nous ne devons naturellement pas en exagérer la portée. En réalité, un lapsus peut être entièrement dépourvu de sens, n’être qu’un accident psychique ou n’avoir un sens qu’exceptionnellement, sans qu’on puisse refuser au poète le droit de le spiritualiser en lui attachant un sens,