Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/67

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ne retient que difficilement un nom qui lui est cependant familier, nous sommes en droit de supposer qu’il éprouve quelque ressentiment à l’égard du porteur de ce nom, ce qui fait qu’il ne pense pas volontiers à lui. Réfléchissez aux révélations qui suivent concernant la situation psychique dans laquelle s’est produit un de ces actes manqués.

« M. Y… aimait sans réciprocité une dame, laquelle avait fini par épouser M. X… Bien que M. Y… connaisse M. X… depuis longtemps et se trouve même avec lui en relations d’affaires, il oublie constamment son nom, en sorte qu’il se trouve obligé de le demander à d’autres personnes toutes les fois qu’il doit lui écrire[1]. »

Il est évident que M. Y… ne veut rien savoir de son heureux rival « nicht gedacht soll seiner werden[2] ! »

Ou encore : une dame demande à son médecin des nouvelles d’une autre dame qu’ils connaissent tous deux, mais en la désignant par son nom de jeune fille. Quant au nom qu’elle porte depuis son mariage, elle l’a complètement oublié. Interrogée à ce sujet, elle déclare qu’elle est très mécontente du mariage de son amie et ne peut pas souffrir le mari de celle-ci[3].

Nous aurons encore beaucoup d’autres choses à dire sur l’oubli de noms. Ce qui nous intéresse principalement ici, c’est la situation psychique dans laquelle cet oubli se produit.

L’oubli de projets peut être rattaché, d’une façon générale, à l’action d’un courant contraire qui s’oppose à leur réalisation. Ce n’est pas seulement là l’opinion des psychanalystes ; c’est aussi celle de tout le monde, c’est l’opinion que chacun professe dans la vie courante, mais nie en théorie. Le tuteur, qui s’excuse devant son pupille d’avoir oublié sa demande, ne se trouve pas absous aux yeux de celui-ci, qui pense aussitôt : il n’y a rien de vrai dans ce que dit mon tuteur, il ne veut tout simplement pas tenir la promesse qu’il m’avait faite. C’est pourquoi l’oubli est interdit dans certaines circonstances de la vie, et la différence entre la conception populaire et la

  1. D’après C.-G. Jung.
  2. Vers de H. Heine : « effaçons-le de notre mémoire ».
  3. D’après A.-A. Brill.