Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manqué. Aussi nous adresserons-nous à un acte qui manque particulièrement de clarté et n’est rien moins qu’univoque : la perte d’objets et l’impossibilité de retrouver des objets rangés. Que notre intention joue un certain rôle dans la perte d’objets, accident que nous ressentons souvent si douloureusement, c’est ce qui vous paraîtra invraisemblable. Mais il existe de nombreuses observations dans le genre de celle-ci : un jeune homme perd un crayon auquel il tenait beaucoup ; or, il avait reçu la veille de son beau-frère une lettre qui se terminait par ces mots : « Je n’ai d’ailleurs ni le temps ni l’envie d’encourager ta légèreté et ta paresse[1]. » Le crayon était précisément un cadeau de ce beau-frère. Sans cette coïncidence, nous ne pourrions naturellement pas affirmer que l’intention de se débarrasser de l’objet ait joué un rôle dans la perte de celui-ci. Les cas de ce genre sont très fréquents. On perd des objets lorsqu’on s’est brouillé avec ceux qui les ont donnés et qu’on ne veut plus penser à eux. Ou encore, on perd des objets lorsqu’on n’y tient plus et qu’on veut les remplacer par d’autres, meilleurs. À la même attitude à l’égard d’un objet répond naturellement le fait de le laisser tomber, de le casser, de le briser. Est-ce un simple hasard lorsqu’un écolier perd, détruit, casse ses objets d’usage courant, tels que son sac et sa montre par exemple, juste la veille de son anniversaire ?

Celui qui s’est souvent trouvé dans le cas pénible de ne pas pouvoir retrouver un objet qu’il avait lui-même rangé ne voudra pas croire qu’une intention quelconque préside à cet accident. Et pourtant, les cas ne sont pas rares où les circonstances accompagnant un oubli de ce genre révèlent une tendance à écarter provisoirement ou d’un façon durable l’objet dont il s’agit. Je cite un de ces cas qui est peut-être le plus beau de tous ceux connus ou publié jusqu’à ce jour :

Un homme encore jeune me raconte que des malentendus s’étaient élevés il y a quelques années dans son ménage. « Je trouvais, me disait-il, ma femme trop froide, et nous vivions côte à côte, sans tendresse, ce qui ne m’empêchait d’ailleurs pas de reconnaître ses excel-

  1. D’après B. Dattner.