Page:Freud - Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. Jankélévitch, 1922.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produisant dans l’un des arts où elle excellait : elle dansa le « cancan » en véritable virtuose, à la grande satisfaction de sa famille, mais au grand mécontentement de son mari qui lui chuchota, lorsqu’elle eut fini : « tu t’es de nouveau conduite comme une fille. » Le mot porta. Fut-ce à cause de cette séance de danse, ou pour d’autres raisons encore, peu importe, mais la jeune femme passa une nuit agitée, et se leva décidée à partir le matin même. Mais elle voulut choisir elle-même les chevaux, en refusa une paire, en accepta une autre. Sa plus jeune sœur voulait faire monter dans la voiture son bébé accompagnée de la nourrice ; ce à quoi elle s’opposa énergiquement. Pendant le trajet, elle se montra nerveuse, dit à plusieurs reprises au cocher que les chevaux lui semblaient avoir peur et lorsque les animaux, inquiets, refusèrent réellement à un moment donné de se laisser maîtriser, elle sauta effrayée de la voiture et se cassa une jambe, alors que ceux qui étaient restés dans la voiture n’eurent aucun mal. Si, en présence de détails pareils, on peut encore douter que cet accident fût vraiment arrangé d’avance, on n’en doit pas moins admirer l’à-propos avec lequel l’accident s’est produit, comme s’il s’était agi vraiment d’une punition pour une faute commise, car à partir de ce jour la malade était mise pour de longues semaines dans l’impossibilité de danser le « cancan ».

Je ne me rappelle pas m’être infligé des mutilations dans les circonstances ordinaires de la vie, mais il n’en est pas de même dans des situations compliquées et agitées. Lorsqu’un membre de ma famille se plaint de s’être mordu la langue, écrasé un doigt, etc., je ne manque jamais de lui demander : « pourquoi l’as-tu fait ? » Mais je me suis moi-même écrasé un pouce, un jour où l’un de mes jeunes patients m’a fait part, au cours de la consultation, de son intention (qui n’était d’ailleurs pas à prendre au sérieux) d’épouser ma fille aînée, alors qu’elle se trouvait précisément