Page:Freud - Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. Jankélévitch, 1922.djvu/263

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rencontrons dans le hall de l’hôtel. Il me présente sa femme et ajoute : « vous allez bien déjeuner avec nous ? » J’avais quelque chose à acheter dans la rue la plus proche et promis de revenir aussitôt. En entrant dans la salle à manger, je trouvai le couple installé, tous deux sur le même rang, devant une petite table à côté d’une fenêtre. En face d’eux ne se trouvait qu’un fauteuil, dont le dossier et le siège étaient encombrés par le grand et lourd imperméable du mari. J’ai très bien compris le sens de cette disposition, qui n’était certainement pas intentionnelle, mais d’autant plus significative. Cela voulait dire : « ici il n’y a pas place pour toi, tu es maintenant de trop. » Le mari ne s’est pas aperçu que je suis resté debout devant la table, sans m’asseoir, mais la femme le poussa du coude et lui chuchota : « tu as encombré le fauteuil de ce monsieur. »

À propos de ce fait et d’autres analogues, je me suis dit plus d’une fois que les actes non-intentionnels de ce genre doivent nécessairement devenir une source de malentendus dans les relations humaines. Celui qui accomplit une action pareille, sans y attacher aucune intention, ne se l’attribue pas et ne s’en estime pas responsable. Quant à celui qui est, pour ainsi dire, victime d’une pareille action, qui en supporte les conséquences, il attribue à son partenaire des intentions et des pensées dont celui-ci se défend, et il prétend connaître de ses processus psychiques plus que celui-ci ne croit en avoir révélé. L’auteur d’une action symptomatique est on ne peut plus contrarié, lorsqu’on le met en présence des conclusions que d’autres en ont tirées ; il déclare ces conclusions fausses et sans fondement : c’est qu’il n’a pas conscience d’une intention ayant présidé à son acte. Aussi finit-il par se plaindre d’être incompris ou mal compris par les autres. Au fond, les malentendus de ce genre tiennent à ce qu’on comprend trop et trop finement. Plus deux hommes sont « nerveux », et plus il y aura d’occasions de brouille