Page:Freud - Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. Jankélévitch, 1922.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bâtiment où s’effectuait l’échange entre or et billets de banque. »

On rattache encore au domaine du miraculeux et du mystérieux la bizarre sensation qu’on éprouve à certains moments et dans certaines situations et qui fait qu’on croit déjà avoir vu ce qu’on voit, s’être déjà trouvé une fois dans la même situation, sans toutefois pouvoir se rappeler quand et dans quelles conditions. Je sais que je m’exprime très improprement, en qualifiant de sensation ce qu’on éprouve dans ces moments-là. Il s’agit plutôt d’un jugement, et d’un jugement cognitif ; mais ces cas n’en présentent pas moins un caractère particulier, et l’on ne doit pas négliger le fait de l’impossibilité de se souvenir de ce que l’on cherche. J’ignore si l’on s’est sérieusement servi de ce phénomène du « déjà vu », pour en faire un argument prouvant une existence psychique antérieure de l’individu ; mais les psychologues se sont intéressés à ce phénomène et ont donné les explications spéculatives les plus variées de l’énigme. Aucune des explications proposées ne me paraît correcte, car toutes ne tiennent compte que des détails qui accompagnent le phénomène et des conditions qui le favorisent. La plupart des psychologues actuels négligent complètement les processus psychiques qui, à mon avis, sont seuls susceptibles de fournir l’explication du « déjà vu » : je veux parler des rêveries inconscientes. Je crois qu’on a tort de qualifier d’illusion la sensation du « déjà vu et éprouvé ». Il s’agit réellement, dans ces moments-là, de quelque chose qui a déjà été éprouvé ; seulement, ce quelque chose ne peut faire l’objet d’un souvenir conscient, parce que l’individu n’en a jamais eu conscience. Bref, la sensation du « déjà vu » correspond au souvenir d’une rêverie inconsciente. Il y a des rêveries (rêves éveillés) inconscientes, comme il y a des rêveries conscientes, que chacun connaît par sa propre expérience.