Page:Freud - Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. Jankélévitch, 1922.djvu/64

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époque-là. Elle ajouta que toute la vie du Christ, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, était décrite dans ce roman dont elle ne pouvait pas se rappeler le titre (alors qu’elle gardait un souvenir visuel très net de la couverture du livre et de l’aspect typographique du titre). Trois des messieurs présents déclarèrent connaître, eux aussi, ce roman, mais, fait singulier, tout comme la jeune femme, ils étaient incapables de se souvenir de son titre. »

Seule la jeune femme consentit à se soumettre à l’analyse tendant à trouver l’explication de son oubli. Disons tout de suite que le livre avait pour titre Ben Hur (par Lewis Wallace). Les souvenirs de substitution furent ecce homo — homo sum — quo vadis ? La jeune fille comprend elle-même qu’elle a oublié le titre, parce qu’il contient une expression que « ni moi ni aucune autre jeune fille ne nous déciderions à employer, surtout en présence de jeunes gens[1] ». L’analyse très intéressante a permis de pousser plus loin cette explication. Le rapport une fois établi, la traduction du mot homo (homme) présente également une signification douteuse. M. Reik conclut : la jeune femme traite le mot oublié comme si en prononçant le titre suspect elle avouerait devant des jeunes gens des désirs qu’elle considère comme ne convenant pas à sa personne et qu’elle repousse comme étant pénibles. Plus brièvement sans s’en rendre compte, elle considère l’énoncé du titre Ben-Hur comme équivalant à une offre sexuelle, et son oubli correspond à une défense contre une tentation inconsciente de ce genre. Nous avons des raisons de croire que des processus inconscients analogues ont déterminé l’oubli des jeunes gens. Leur inconscient a saisi la véritable signification de l’oubli de la jeune fille… il l’a pour ainsi dire interprété… L’oubli des jeunes gens exprime une déférence

  1. Le titre du roman : Ben Hur renferme le mot Hur qui ressemble à Hure — prostituée (en allemand). N. du T.