Page:Froger - À genoux, 1878.djvu/23

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Je t’aime par-dessus tous les hommes du monde.
Veux-tu nous en aller dans la forêt profonde,
Profonde ! » Et ses cheveux flottaient dans un grand vent.
C’était l’heure tardive où tout être vivant,
Sentant la nuit tomber, regagne sa demeure,
Et ferme ses deux yeux en attendant qu’il meure.
Il circulait dans l’air terrible où nous étions
Des appels tellement chargés d’afflictions
Et des odeurs d’amour tellement accablantes
Que je croyais toujours voir passer sous les plantes,
Sous les rocs, sous les grands flots bleus où le feu bout,
L’immense mort qui doit bientôt dévorer tout.
Elle continuait, encor plus séductrice,
Surnaturelle ! « Terre et cieux ! que je périsse
Si je te perds ! Mais non ! tu vas me suivre ! ami,
Tu vas me suivre ! Et quand tu seras endormi
Sur ma poitrine, les belles étoiles pures
Envieront ton sommeil pendant les nuits obscures,
Et, se penchant du haut de leurs couches de feu,
Te baiseront avec des bouches d’azur bleu.
Viens ! » Le soleil mourait dans les feuilles des palmes.
« Viens, continuait-elle, en fermant ses yeux calmes ;
Nul être ne pourra nous voir, quand nous serons
Au fond des bois. Alors nous mêlerons nos fronts,
Nos poitrines, nos bras, nos mains, nos chevelures,
Et surtout nos deux cœurs sanglants dont les brûlures