Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1382]
173
LIVRE II.

bellement aux chevaliers, et leur répondirent que en devant ces nouvelles ils n’en avoient rien sçu, et auroient tel regard que on y mettroit attrempance. Cette réponse suffit assez au comte de Flandre. Le duc Aubert, qui pour le temps se tenoit en Hollande, escripsit devers son baillif en Hainaut, messire Simon de la Lain[1], et lui envoya la copie des les lettres, et par escript les paroles et requêtes de son cousin le comte de Flandre ; et avecques tout ce il lui manda et commanda étroitement que il eût tel le pays de Hainaut que il n’en ouït plus nulles nouvelles à la déplaisance du comte son cousin ; car il s’en courrouceroit. Le baillif obéit, ce fut raison ; et fit faire un commandement général parmi la comté de Hainaut, que nul ne menât vivres à ceux de Gand ; car si ils étoient sur le chemin vus, sçus, ni trouvés, ils n’auroient point d’aveu de lui. Un tel cri et défense fit-on en Brabant : ni nul n’osoit aller en Gand, fors en larrecin, ni mener vivres ; dont ceux de Gand se commencèrent à ébahir ; car ces pourvéances leur affoiblissoient durement. Et eussent trop plus tôt eu grand’famine ; mais ils étoient confortés des Hollandois qui oncques ne s’en vouldrent déporter, pour mandement ni pour défense que le duc Aubert y pût mettre.

En ce temps, par les pourchas et moyens des consaux de Hainaut, de Brabant et du Liége, fut un parlement assis et accordé à être à Harlebecque de-lez Courtray. Et se tint le parlement ; et y envoyèrent ceux de Gand douze des plus notables hommes de la ville ; et montroient tous généralement, excepté la ribaudaille qui ne désiroient que la riote, que ils vouloient venir à paix, à quel meschef que ce fût. À ce conseil et parlement furent tous les consaulx des bonnes villes de Flandre, et mêmement le comte, et aussi de Brabant, de Hainaut et du Liége y eut gens. Là furent les choses si bien taillées et touchées que, sur certain article de paix, les Gantois retournèrent en leur ville. Et advint que ceux de Gand qui paix désiroient à avoir, voire les sages et les paisibles, se trairent devers les hôtels des deux plus notables et riches hommes de Gand, qui à ce parlement eussent été, sire Gisebrest Grutte et sire Simon Bete, et leur demandèrent des nouvelles. Ils se découvrirent trop tôt à leurs amis ; car ils répondirent : « Bonnes gens, nous aurons une belle paix, si Dieu plaît. Ceux qui ne veulent que bien demeurent en paix ; et on corrigera aucuns des mauvais de la ville de Gand. »


CHAPITRE CXXV.


Comment Piètre du Bois s’efforça de rompre tout ce qui étoit traité pour la paix, et de troubler le comte de Flandre et la ville de Gand.


Vous savez que on dit communément : « S’il est qui fait, il est qui dit. » Piètre du Bois, qui ne se sentoit mie assur de sa vie, avoit envoyé ses espies pour ouïr et rapporter des nouvelles. Ceux qui y furent envoyés rapportèrent ce que on disoit parmi la ville, et que ces paroles venoient pour certain de Gisebrest Grutte et de Simon Bete. Quand Piètre entendit ce, si fut tout forcené ; et happa tantôt celle chose pour lui, et dit : « Si nul est corrigé de celle guerre, je le serai tout premier ; mais il ne ira pas ainsi que nos seigneurs qui ont été au parlement cuident. Je ne vueil pas encore mourir ; la guerre n’a pas encore tant duré comme elle durera : encore n’est pas mon bon maître, qui fut Jean Lyon, bien vengé. Si la chose est bien entouilliée, encore la vueil-je mieux entouillier. » Que fit Piètre du Bois ? je vous le dirai.

Ce propre soir, dont à lendemain le conseil des seigneurs de Gand devoit être en la halle du conseil, et le rapport fait des dessus dits qui avoient été au parlement à Harlebecque, il s’en vint en l’hôtel Philippe d’Artevelle, et le trouva qu’il musoit et pensoit, en soi appuyant sur une fenêtre en sa chambre. La première parole que il lui demanda fut telle : « Philippe, savez-vous nulles nouvelles ? » — « Nennil, dit Philippe, fors tant que nos gens sont retournés du parlement de Harlebecque ; et demain nous devons ouïr en la halle ce qu’ils ont trouvé. » — « C’est voir, dit Piètre du Bois ; mais je sçais jà ce qu’ils ont trouvé, et comment le traité se portera ; car ils s’en sont découverts à aucuns de mes amis. Certes, Philippe, tous les traités que on fait et que on peut faire, c’est toujours sur nous et sur nos têtes : si il y a nulle paix entre monseigneur et la ville, sachez que vous et moi et le sire de Harselle, et tous les capitaines dont nous nous aidons et qui maintiennent la guerre, en mourront premièrement ; et les riches hommes s’en

  1. Oncle du célèbre chevalier Jacques de la Lain, dont Georges Châtelain nous a laissé l’histoire.