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LIVRE II.

Ainsi orent les François le chastel de Breteuil : si le remparèrent et rafreschirent de nouvelles pourvéances, d’artillerie et de gens d’armes, et puis s’en partirent et s’en vinrent rafreschir à Carros une belle et grosse abbaye[1], et là environ sur le pays. Et puis s’en vinrent à Limoges, et là se tint le duc de Bourbon huit jours, et ot conseil de retourner en France, ainsi qu’il fit ; et trouva le roi à Paris et son neveu de Valois et tous ses mariages brisés. Or reviendrons-nous aux besognes d’Escosse et de l’amiral de France, qui toutes avinrent en celle saison.


CHAPITRE CCXXXV.


Comment l’amiral de France et les Escots entrèrent en Angleterre ardant, et exillant le pays ; et de la mort du fils au comte de Staffort.


Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment l’amiral de la mer, atout grand’charge de gens d’armes, arriva au hâvre de Haindebourch en Escosse[2], et comment ses gens trouvèrent autre pays et autres gens que ils ne cuidoient. Les barons d’Escosse et le conseil du roi, l’année passée, avoient informé les chevaliers qui y avoient été, messire Geoffroy de Chargny et messire Aymar de Marse, que si l’amiral de France, ou le connétable, ou les maréchaux passoient la mer en Escosse atout mille lances de bonnes gens et cinq cents arbalétriers, et eussent avecques eux le harnois d’armes pour armer eux mille en Escosse, avecques l’aide et le demeurant du royaume d’Escosse ils combattroient bien les Anglois, et feroient un si grand treu en Angleterre que jamais ne seroit recouvré. Sur cel état avoient l’amiral de France et les François passé la mer et étoient venus en Escosse. Si ne trouvèrent pas en voir assez de ces promesses : tout premier ils trouvèrent dures gens et mal amis et povre pays ; et ne sçurent tantôt les seigneurs, chevaliers et écuyers de France qui là étoient, où envoyer leurs varlets sur le pays pour fourrager ; ni aller ils n’y osoient fors en grands routes, pour les malandrins du pays qui les attendoient au pas, et les ruoient jus, meshaignoient et occioient.

Or vint le roi Robert d’Escosse, un grand bon homme à uns rouges yeux rebraciés : ils sembloient fourrés de sendail[3] ; et bien montroit que il n’étoit pas aux armes trop vaillant homme et que il eût plus cher le séjourner que le chevaucher ; mais il avoit jusques à neuf fils, et ceux aimoient les armes. Quand le roi d’Escosse fut venu à Haindebourch, ces barons de France se trairent devers lui et s’accointèrent de lui, ainsi comme il appartenoit et que bien le savoient faire ; et étoient avecques eux à ces accointances le comte de Douglas, le comte de Mouret, le comte de la Mare, le comte de Surlant et plusieurs autres. Là requit l’amiral et pria au roi que, sur l’état pourquoi ils là venus au pays étoient, on leur accomplist, et dist que il vouloit chevaucher en Angleterre. Les barons et les chevaliers d’Escosse qui se désiroient à avancer en furent tout réjouis, et répondirent que si à Dieu plaisoit, ils feroient un tel voyage où ils auroient honneur et profit. Le roi d’Escosse fit son mandement grand et fort ; et vinrent à Haindebourch, et là environ, au jour qui assigné y fut, plus de trente mille hommes, et tous à cheval, et ainsi qu’ils venoient ils se logeoient à l’usage de leur pays, et n’avoient pas tous leurs aises.

Messire Jean de Vienne, qui grand désir avoit de chevaucher et d’employer ses gens en Angleterre pour faire aucun bon exploit d’armes, quand il vit ces Escots venus, dit qu’il étoit temps de chevaucher, et que trop avoient là séjourné. Si fut le département signifié à toutes gens. Adonc se mirent-ils à voie et prindrent le chemin de Rosebourch. À celle chevauchée n’étoit point le roi ; mais étoit demeuré en Haindebourch, et étoient tous ses enfans en l’armée. Et sachez que jusques à douze cens pièces de harnois, pour armer en bon arroi de pied en cap, furent délivrés aux chevaliers et écuyers d’Escosse et de Norvège[4] qui étoient mal armés, lesquels harnois l’amiral avoit fait venir de Paris : dont les compagnons qui en furent revêtus orent grand’joie. Or chevauchèrent ces gens d’armes vers Northonbrelande, et exploitèrent tant qu’il vinrent à l’abbaye de Mauros ; et se logèrent les seigneurs et toutes manières de gens autour de la rive. À lendemain ils s’en vinrent sur la Morlane, et depuis devant Rosebourch.

  1. Je trouve dans un autre manuscrit, « à une bonne ville près d’illecques, qui est appelée Escures. »
  2. C’est à dire à Leith.
  3. Sorte d’étoffe écarlate, fort estimée alors.
  4. Peut-être Froissart entend-il par-là les troupes venues des îles Orkney.