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LIVRE II.

que les François et les Escots étoient entrés en la marche de Northonbrelande, et détruisoient et ardoient tout le pays. Et sachez que en devant ces nouvelles le royaume d’Angleterre étoit tout pourvu et avisé de la venue de l’amiral et des François en Escosse ; si étoient tous les seigneurs sur leurs gardes ; et avoit le roi fait son mandement par tout Angleterre ; et étoient tous traits sur les champs, comtes, barons, chevaliers et écuyers ; et prenoient ainsi comme ils venoient leur chemin vers Escosse, et menaçoient fort les Escots. Et avoient fait les Anglois tout cel été les plus belles pourvéances que oncques mais ils fissent pour aller en Escosse, tant par mer comme par terre ; car ils avoient sur la mer jusques à six vingt gros vaisseaux chargés de pourvéances, qui les suivoient, frontians[1] Angleterre pour venir au Umbre. Et venoit le roi accompagné de ses oncles, le comte de Cantebruge et le comte de Bouquenghen, et de ses deux frères, le comte de Kent et messire Thomas de Hollande. Là étoient le comte de Sallebery, le comte d’Arondel, le comte d’Asquesuffort, le jeune comte de Pennebroch, le jeune sire Despenser, le comte de Staffort, le comte de Devensière, et tant de barons et de chevaliers que ils étoient bien quatre mille lances, sans ceux que le duc de Lancastre, le comte de Northonbrelande, le comte de Northinghen, le sire de Lacy, le sire de Neufville et les barons des frontières d’Escosse, avoient, qui jà poursuivoient les Escots et les François, où bien avoit deux mille lances et vingt mille archers. Et le roi et les seigneurs qui venoient avoient en leurs routes bien cinquante mille archers, sans les gros varlets.

Tant exploitèrent le roi d’Angleterre et ses osts, en venant après le duc de Lancastre et les autres qui étoient premiers, que ils vinrent en la marche d’Yorch ; car sur le chemin nouvelles étoient venues au roi et à ses gens que leurs gens se devoient combattre aux Escots en la marche de Northonbrelande, et pour ce se hâtoient-ils le plus. Et s’en vint le roi loger à Saint-Jean de Buvrelé, outre la cité d’Yorch et la cité de Durem ; et là leur vinrent nouvelles que les Escots étoient retraits vers leur pays : si se logèrent toutes manières de gens d’armes en la marche de Northonbrelande. Or vous vueil-je recorder une aventure assez dure qui avint en l’ost du roi d’Angleterre, parquoi son voyage en fut presque rompu, et les seigneurs en guerre mortelle l’un à l’autre.

En la marche de Saint-Jean de Buvrelé, en la diocèse d’Yorch, étoit le roi d’Angleterre logé, et grand’foison de comtes, de barons et de chevaliers de son royaume ; car chacun se logeoit au plus près de lui qu’il pouvoit par raison, et par espécial ses deux oncles, et messire Thomas de Hollande, comte de Kent, et messire Jean de Hollande, ses frères, étoient là en belle compagnie de gens d’armes. En la route du roi avoit un chevalier de Bohème qui étoit venu voir la roine d’Angleterre ; et pour l’amour de la roine, le roi et les barons lui faisoient fête : ce chevalier appeloit-on messire Nicle, frisque et joli chevalier étoit à l’usage d’Allemagne. Et avint que, sus une remontée et sur les champs, au dehors d’un village assez près de Saint-Jean de Buvrelé, deux écuyers qui étoient à messire Jean de Hollande, frère du roi, s’entreprirent de paroles pour leurs logis à messire Nicle. et le poursuivirent de près pour lui faire un grand déplaisir. Sur ces paroles que le chevalier avoit aux écuyers, s’embattirent deux archers à messire Richart de Staffort, fils au comte de Staffort, et tant que de paroles ils commencèrent à aider au chevalier pour la cause de ce que il étoit étranger, et blâmèrent les écuyers en reprenant leurs paroles, et en disant : « Vous avez grand tort qui vous prenez à ce chevalier ; jà savez-vous qu’il est à madame la roine et de son pays. Si fait mieux à déporter que un autre. » — « Voire, dit l’un de ces écuyers à l’archer qui avoit dit celle parole, et tu, herlos, en veux-tu parler ? À toi qu’en monte, si je lui blâme ses folies ? » — « À moi qu’en monte ? dit l’archer. Il en monte assez ; car il est compaing à mon maître ; si ne serai jà en lieu où il reçoive blâme ni vilenie. » — « Et si je cuidois, herlos, dit l’écuyer, que tu le voulsisses aider ni porter encontre moi, je te bouterois celle épée dedans le corps. » Et fit semblant en parlant de le férir. L’archer recula, qui tenoit son arc tout appareillé ; et encoche bonne sajette, et laist aller, et fiert l’écuyer de visé, et lui met la sajette tout parmi la mamelle et le cœur, et l’abat tout mort.

L’autre écuyer, quand il vit son compagnon en ce parti, s’en foui ; messire Nicle étoit jà parti

  1. En suivant les frontières d’Angleterre.