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LIVRE III.

messire Pierre de Berne, et leur dit : « Chevauchez tantôt devers Cassères, je vous envoierai gens de tous lez, et dedans trois jours je serai là avecques vous ; et gardez bien que nul ne se parte de la ville qu’il ne soit combattu, car vous serez forts assez ; et vous venus devant Cassères, à force de gens du pays, faites là apporter et acharier bûches en grand’planté et mettre contre les portes, et ficher et enter audehors, et puis ouvrer et charpenter audevant bonnes grosses bailles ; car je vueil que tous ceux qui sont là dedans y soient tellement enclos que jamais par les portes en saillent ; je leur ferai prendre autre chemin. »

« Les deux chevaliers firent son commandement et s’en vinrent à Palamininch ; et toutes gens d’armes de Béarn les suivoient et alloient avec eux. Ils s’en vinrent devant cette ville de Cassères et s’y logèrent. Ceux qui dedans étoient n’en firent compte. Mais ils ne se donnèrent de garde, quand ils furent tellement enclos que par les portes ils ne pouvoient issir ni saillir. Au troisième jour, le comte de Foix vint, accompagné de bien cinq cens hommes d’armes ; et sitôt comme il y fut venu, il fit faire bailles tout autour de celle ville, et aussi bailles entour son ost, par quoi de nuit on ne leur pût porter dommage. En cel état et sans assaillir tint-il ses ennemis plus de quinze jours ; et eurent là dedans Cassères très grand’deffaute de vivres ; des vins avoient-ils assez ; et ne pouvoient issir ni partir fors que par la rivière de Garonne, et si ils s’y boutoient, ils étoient perdus davantage.

Quand messire Jean d’Ermignac et messire Bernard de Labreth, et les chevaliers de leur côté qui là étoient, se virent en ce parti, si ne furent pas assurés de leurs vies, car ils sentoient le comte de Foix à trop cruel. Si eurent conseil que ils feroient traiter devers lui et que mieux leur valoit à être ses prisonniers que là mourir honteusement par famine. Le comte de Foix entendit à ces traités, parmi ce qu’il leur fit dire que jà par porte qui fût en la ville ils ne sauldroient, mais leur feroit-on faire un pertuis au mur, et un et un, en purs leurs habits, ils istroient. Il convint que ils prissent ce parti, autrement ils ne pouvoient finer. Ainçois que le comte de Foix s’en fût déporté, fussent-ils là dedans tous morts.

On leur fit faire un pertuis au mur qui ne fut pas très grand, par lequel un et un ils issoient ; et là étoit sur le chemin le comte de Foix armé, et toutes ses gens, et en ordonnance de bataille. Et ainsi que cils issoient, ils trouvoient qui les recueilloit et amenoit devers le comte. Là les départit le comte en plusieurs lieux et les envoya en plusieurs chastellenies et sénéchaussées ; et ses cousins messire Jean d’Ermignac et messire Bernard de la Breth, messire Manant de Barbasan, messire Raimond de Benac, messire Benedic de la Cornille, et environ eux vingt des plus notables, il les emmena avecques lui en Ortais, et en ot, ainçois qu’ils lui échappassent, cent mille francs deux fois. Par telle manière que je vous dis, beau maître, fut ce mur que vous véez dépecé pour ceux d’Ermignac et de la Breth, et depuis fut-il refait et réparé. »

À ces mots retournâmes-nous à l’hôtel et trouvâmes le souper tout prêt, et passâmes la nuit ; et au lendemain nous nous mîmes à cheval et chevauchâmes tout contremont la Garonne et passâmes parmi Palamininch, et puis entrâmes en la terre le comte de Comminges et d’Ermignac, au lez devers nous. Et d’autre part la Garonne si est terre au comte de Foix.

En chevauchant notre chemin me montra le chevalier une ville qui est assez forte et bonne par semblant, qui s’appelle Marceros le Croussac, laquelle est au comte de Comminges. Et d’autre part la rivière, sur les montagnes, me montra-t-il deux chastels qui sont au comte de Foix, dont l’un s’appelle Montmirail et l’autre Montclar. En chevauchant entre ces villes et ces chastels selon la rivière de Garonne, en une moult belle prairie, me dit le chevalier : « Ha ! messire Jean, je ai ci vu plusieurs fois de bonnes escarmouches et de durs et de bons rencontres de Foissois[1] et de Herminages ; car il n’y avoit ville ni chastel qui ne fussent pourvus et garnis de gens d’armes ; et là couroient et chassoient l’un sur l’autre, et là dessous vous en véez les masures. Si firent les Hermignages à l’encontre de ces deux chastels une bastide, et la gardoient soixante hommes d’armes ; et faisoient moult de maux par deçà la rivière en la terre du comte de Foix ; mais je vous dirai comment il leur en prit. Le comte de Foix y envoya une nuit son frère, messire Pierre de Berne, atout deux cens lances, et amenoient en leur compagnie bien

  1. Partisans du comte de Foix.