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LIVRE III.

royaume d’Espaigne et de France de par leur mère, et furent cousins germains au roi Alphonse d’Espaigne[1]. Et servis de ma jeunesse messire Louis d’Espaigne ès guerres de Bretagne ; car il fut toujours pour la partie à Saint Charles de Blois, contre le comte de Montfort. » Atant laissâmes nous à parler de celle matière, et vînmes ce jour à Saint-Goussens une bonne ville du comté de Foîx, et à lendemain vînmes-nous dîner à Mont-Roial-de-Rivière, une bonne ville et forte, laquelle est du roi de France et de messire Roger d’Espaigne. Après dîner nous montâmes à cheval et partîmes, et prîmes le chemin de Lourdes et de Mauvoisin, et chevauchâmes parmi unes landes, qui durent en allant devers Toulouse bien quinze lieues, et apelle-t-on ces landes Landes-Bourg ; et y a moult de périlleux passages pour gens qui seroient avisés.

En-mi les Landes-Bourg siéd le chastel de Lamesen, qui est au comte de Foix, et une grosse lieue en sus la ville de Tournay dessous Mauvoisin, lequel chastel le chevalier me montra et me dit : « Velà Mauvoisin ! Avez-vous point en votre histoire dont vous m’avez parlé, comment le duc d’Anjou, du temps qu’il fut en ce pays et que il alla devant Lourdes, y mit le siége et le conquit, et le chastel de Trigalet sur la rivière que nous véons ci-devant nous qui est au seigneur de la Barre ? » Je pensai un petit et puis dis-je : « Je crois que je n’en ai rien et que je n’en fus oncques informé, si vous prie que vous m’en recordez la matière et je y entendrai volontiers. Mais dites-moi avant que je n’oublie, que la rivière de Garonne est devenue, car je ne la vois plus. » — « Vous dites voir, dit le chevalier ; elle se perd entre ces montagnes, et naît et vient d’une fontaine à trois lieues de ci, ainsi que on voudroit aller en Castelogne, dessous un chastel que on dit de Saint-Béat, le derrain chastel du royaume de France ès frontières de par de çà sur les bandes du royaume d’Arragon ; et en est sire et chastelain pour le présent, et de toute la terre là environ un gentil écuyer qui s’appelle Ernanton, et est Bourg d’Espaigne et cousin germain à messire Roger d’Espaigne. Si vous le véyez vous diriez bien : « Cil homme-ci a bien façon et ordonnance d’être droit homme d’armes. » Et a cil Bourg d’Espaigne plus porté de contraire et de dommage à ceux de Lourdes que tous les chevaliers et écuyers de ce pays n’aient ; et vous dis que le comte de Foix l’aime bien, car c’est son compagnon en armes. Je vous lairai[2] à parler de lui ; espoir à ce noël le verrez-vous en l’hôtel du comte de Foix ; et vous parlerai du duc d’Anjou comment il vint en ce pays, et quelle chose il y fit. » Adonc chevauchâmes-nous tout bellement et il commença à parler, et dit :

CHAPITRE VIII.

Des guerres que le duc d’Anjou fit aux Anglois, et comment il recouvra le château de Mauvoisin en Bigorre, qui fut puis donné au comte de Foix.


« Au commencement des guerres, et qu’on reconquit et gagna sur les Anglois ce qu’ils tenoient en Aquitaine et que messire Olivier de Cliçon fut devenu bon François, il mena le duc d’Anjou, si comme vous savez, en Bretagne sur la terre de messire Robert Canolle que il tenoit, et au siége de Derval. Et je crois bien que tout ce vous avez en votre histoire ; et le traité que messire Hue Broec son cousin fit au duc d’Anjou de rendre le chastel, et livra ôtages ; si plus fort que le duc d’Anjou qui là étoit à siége ne venoit pour lever le siége. Et quant messire Robert Canolle se fut bouté au chastel de Derval, il ne voult tenir nuls des traités[3]. » — « C’est vérité, dis-je, sire, tout ce ai-je bien. » — « Et avez-vous de l’escarmouche qui fut devant le chastel où messire Olivier de Cliçon fut navré ? » — « Je ne sais, dis-je, il ne m’en souvient pas du tout ; mais dites-moi de l’escarmouche et du siége comment il en alla, espoir le savez-vous par autre manière que je ne sais, vous retournerez bien à votre propos de ceux de Lourdes et de Mauvoisin. » — « C’est voir, dit le chevalier, j’en parole, pour tant que messire Garsis du Chastel, un moult sage homme et vaillant chevalier de ce pays ici et bon François, étoit allé quérir le duc d’Anjou pour amener devant Mauvoisin, et le duc avoit fait son mandement pour tenir sa journée duement devant Derval, et fit messire Garsis pour sa vaillance maréchal de tout son ost. Voir est, si comme je lui ouïs dire depuis, quand il vit que messire Robert Canolle avoit brisé et rompu ses traités et que le chastel de Derval il ne ren-

  1. Ils étaient petits-fils de Ferdinand de la Cerda, fils aîné d’Alphonse, roi de Castille.
  2. Je cesserai de vous parler de lui.
  3. Ces événemens se rapportent à l’année 1373.