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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Jean de Sallebery et aucuns autres du privé et étroit conseil du roi en étoient receveurs, payeurs et délivreurs[1] ; ni par les oncles du roi pour lors on ne faisoit rien, et aussi ils n’y accomptoient point plenté, ni pas ne vouloient mettre le pays en trouble, mais entendoient fors à garder l’honneur d’Angleterre, les ports et les passages, et à établir partout gens ; car pour certain ils cuidoient bien avoir, en cel an dont je parle, le roi de France et sa puissance en Angleterre. Les dessus dits chevaliers que je vous ai nommés, receveurs de par le roi de toutes ces tailles, en faisoient à leur entente ; et le souverain pour qui on faisoit le plus et qui y avoit le greigneur profit, c’étoit le comte d’Asquesuffort. Par lui étoit tout fait, et sans lui n’étoit rien fait ; de quoi, quand ces choses furent passées, le peuple se troubla pour savoir que si grand argent étoit devenu, ni où il étoit allé ni contourné, et en vouldrent aucunes bonnes cités et villes d’Angleterre avoir compte, avecques ce que les oncles du roi y rendirent peine, si comme je vous recorderai en suivant, quand il en sera temps et lieu de parler ; car je ne vueil ni dois de rien oublier en l’histoire.

Messire Symon Burlé étoit capitaine du chastel de Douvres : si oyoit souvent nouvelles de France par ceux de Calais et par les pêcheurs d’Angleterre qui s’aventuroient en mer, ainsi qu’ils font par usage ; car pour avoir bon poisson ils vont souvent pêcher dessous Boulogne et devant le port de Wissant. Si rapportoient nouvelles à messire Symon qui leur en demandoit, car autres pêcheurs de France, quand ils se trouvoient, leur en disoient assez et plus que ils n’en savoient ; car sus mer pêcheurs, quelle guerre qu’il y ait entre France et Angleterre, jamais ne se feroient mal, ainçois sont amis et aident l’un à l’autre au besoin, et vendent et achètent sur mer l’un à l’autre leurs poissons, quand les uns en ont plus largement que les autres ; car si ils se guerroyoient on n’auroit point de marée, ni nul n’oseroit aller pêcher, si il n’étoit conduit et gardé de gens d’armes.

Messire Symon Burlé entendoit par les pêcheurs de Douvres que point n’y auroit de deffaute que le roi de France passeroit en Angleterre, et viendroient les François prendre terre et port à Douvres l’une des parties, et l’autre à Zandvich ; et dévoient passer gens sans nombre. Messire Symon créoit bien toutes ces paroles et les tenoit pour véritables, et aussi faisoit-on par toute Angleterre : si vint un jour à Cantorbie, et alla à l’abbaye qui est moult grande et moult riche et belle ; et d’autre part assez près siéd l’abbaye de Saint-Vincent, laquelle est aussi moult riche et moult puissante, et tous de noirs moines. On lui demanda des nouvelles, et il en dit ce qu’il en savoit ; et par ses paroles il montroit bien que la fiertre de saint Thomas, qui tant est digne et riche, n’étoit pas sûrement à Cantorbie, car la ville n’est pas forte ! « Et si François viennent, ce dit messire Symon, ainsi que ils feront tantôt, pour la convoitise de plenté gagner, pillards et larrons affoiront en celle ville et vous roberont et pilleront votre église. Et par espécial ils voudront savoir que la fiertre Saint-Thomas sera devenue ; si l’emporteront si ils la trouvent, et la perdrez. Pourquoi je vous conseille que vous la fassiez venir et apporter au chastel de Douvres ; elle sera bien assur, et fût Angleterre toute perdue. »

L’abbé de Saint-Thomas de Cantorbie et tout le couvent de la maison prirent celle parole et le conseil, quoique le chevalier le dit pour bien, en si grand dépit que ils répondirent en disant : « Comment, messire Symon ! voulez-vous diviser l’église de céans de sa seigneurie. Si vous avez paour, si vous faites assurer et si vous allez enclore en votre chastel de Douvres, car jà les François ne seront si hardis ni si puissant que jusques ici ils viennent. » Ce fut la réponse que on fit lors à messire Symon Burlé. Et multiplièrent tant ces paroles et la requête que il avoit faite que la communauté d’Angleterre s’en contentèrent mal sur lui, et le tinrent pour suspect et mauvais envers le pays ; et bien lui montrèrent depuis, si comme je vous recorderai avant en l’histoire. Messire Symon Burlé s’en passa atant et s’en retourna à Douvres en son chastel.

Or vint le roi de France, pour montrer plus

  1. Suivant Hollinshed, les treize receveurs nommés alors turent : l’évêque d’Ély, lord chancelier ; l’évêque d’Herford, lord trésorier ; Nicolas, abbé de Waltham, lord du sceau privé ; William, archevêque de Canterbury ; Alexandre, archevêque d’York ; Edmond Langly, duc d’York ; Thomas, duc de Glocester ; William, évêque de Winchester ; Thomas, évêque d’Exceter ; Richard, comte d’Arundel ; Richard, lord Scrope ; et Jean, lord Devereux.