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LIVRE III.

trance au roi, ce dit le duc de Glocestre aux Londriens qui étoient en sa présence, il vous répondra quelque chose. Si il dit : « Nous en aurons conseil, » si prenez ce conseil bref et pointez bien la chose avant pour lui donner cremeur, et à ses marmousets aussi. Dites lui hardiment que le pays ne les veut ni peut plus souffrir, et est merveille comment on en a encore tant souffert. Nous serons de-lez lui, mon frère et moi et l’archevêque de Cantorbie, le comte de Sallebery, le comte d’Arondel et le comte de Northonbrelande, car sans nous n’en parlez point. Nous sommes les plus grands d’Angleterre, si vous aiderons à soutenir votre parole ; et dirons au roi, en nous dissimulant, que vous requérez raison. Quand il nous orra parler il ne nous dédira point, si il n’a tort ; et sur ce il en sera ordonné. Véez là le conseil et le remède que je vous donne. »

Donc répondirent les Londriens au duc de Glocestre et lui dirent : « Monseigneur, vous nous conseillez loyaument et bien. Mais ce seroit fort que le roi et tant de seigneurs que vous nous nommez, vous et votre frère, nous tinssions ensemble. » — « Non est, ce dit le duc ; véez ci le jour Saint-George qui sera dedans dix jours ; le roi sera à Windesore ; et vous savez, où que il voist le duc d’Irlande et messire Simon Burlé sont. Et encore en aura des autres. Mon frère et moi, et le comte de Sallebery y serons. Soyez là et vous pourvoyez selon ce. » — « Monseigneur, répondirent-ils, volontiers. » Ainsi se partirent les Londriens tout contens du duc de Glocestre.

Or vint le jour Saint-George que le roi d’Angleterre festoye grandement, et aussi ont fait ses prédécesseurs. Si furent à Windsore, et la roine aussi, et là ot grand’fête. À lendemain du jour Saint-George vinrent les Londriens à bien soixante chevaux, et ceux d’Yorch à bien autant, et grand’foison des notables villes d’Angleterre ; et tous se logèrent à Windesore. Le roi se vouloit partir et aller au parc à deux lieues de là. Et encore, quand il sçut que ces gens, les communautés d’Angleterre, vouloient parler à lui, il s’en efforçoit plus de y aller, car trop fort il ressoignoit conseil, ni jamais il n’en vouloit nul avoir ni ouïr ; mais ses oncles et le comte de Sallebery lui dirent : « Monseigneur, vous ne pouvez partir. Ces gens de plusieurs villes d’Angleterre sont ci venus. Il appartient que vous les oyez et que vous sachiez que ils demandent, et puis vous leur répondrez ou aurez conseil de répondre. » Envis il demeura.

Or vinrent ces gens en sa présence, en la salle basse, hors du neuf ouvrage où l’hôtel fut jà anciennement. Premier là étoit le roi et ses oncles, l’archevêque de Cantorbie, l’évêque de Wincestre et l’évêque d’Ély, chancelier, le comte de Sallebery, le comte de Northonbrelande et plusieurs autres. Là firent ces bonnes villes requête et prière au roi ; et parla un pour eux tous, un bourgeois de Londres, qui s’appeloit sire Simon de Susbery, sage homme et bien enlangagé ; et se fonda et forma en sa parole que il remontra bien sagement et vivement du tout, sus le conseil et information que le duc de Glocestre leur avoit dit et donné. Vous avez ouïe la substance ici un petit en sus. Si n’en ai que faire de plus parler, autrement ce seroit chose redite.

Quand le roi eut tout ouï, si répondit et dit : « Entre vous, gens de notre royaume, vos requêtes sont grandes et longues ; si ne les peut-on pas sitôt expédier ; ni nous ne serons en grand temps ensemble, ni notre conseil aussi, lequel n’est pas tout ici, il s’en faut assez. Si vous disons et répondons que vous en retournez chacun de vous en son lieu et vous y tenez tous aises. Point ne revenez si vous n’êtes mandés jusques à la Saint-Michel que le parlement sera à Wesmoustier ; et là venez et apportez vos requêtes, nous les remontrerons à notre conseil. Ce que bon sera nous l’accepterons, et ce qui à refuser sera nous le condamnerons. Mais ne pensez point que nous nous doions rieuller par notre peuple. Tout ce ne sera jà fait, car en notre gouvernement, ni en ceux qui nous gouvernent, nous ne véons que tout droit et justice. » — « Justice ! répondirent-ils plus de sept tous d’une voix ; très redouté sire, sauve soit votre grâce ; mais justice est en votre royaume trop foible ; et vous ne savez pas tout, ni pouvez savoir, car point n’en enquérez ni demandez ; et ceux qui vous conseillent s’en cessent de la vous dire, pour le grand profit que ils y prennent. Ce n’est pas justice, sire roi, de couper têtes, ni poings, ni pieds, ni pendre ; cela est punition. Mais est justice de tenir et de garder son peuple en droit et de lui donner voie et ordonnance que il puisse vivre en paix, parquoi il n’ait nulle cause de lui émouvoir. Et nous vous disons que vous nous assignez trop long jour que de retourner à la