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LIVRE III.

car on ne vous aime qu’un petit, si comme on le vous montrera. Vous, et les autres de votre alliance, avez fait beaucoup d’ennui à mon frère et à moi : et avez troublé à votre pouvoir, et for-conseillé monseigneur et aucuns des nobles de ce pays. Avecques ce avez ému aucunes des bonnes villes à l’encontre de nous. Si est venu le jour que vous en aurez le guerdon. Car, qui bien fait c’est raison qu’il le retrouve. Pensez à vos besognes, car jamais je ne buverai ni ne mangerai tant que vous soyez en vie. »

Celle parole esbahit grandement Trésilien ; et ce fut raison, car nul n’ouït volontiers parler de sa fin, par celle manière, que le duc de Glocestre la lui bailloit. Si se voult excuser par beau langage, en lui amolliant de plusieurs choses ; mais il ne le put, car le duc était si dur informé de lui et sur les autres de la secte du duc d’Irlande, que excusance n’y valoit rien. Que vous éloignerois-je la matière ? Messire Trésilien fut délivré au bourrel, mené dehors Wesmoustier, et délivré à ceux qui s’ensonnioient tel office faire, et là décollé, et puis pendu au gibet du roi par les aisselles. Ainsi finit messire Robert Trésilien.

CHAPITRE LXXVII.

Comment les nouvelles vinrent au roi du décolement de mesure Robert Trésilien, et comment il demanda conseil à ses gens sur ce, et comment il ordonna le duc d’Irlande pour souverain de ses gens.


Or vinrent les nouvelles hâtivement au roi Richard d’Angleterre et au duc d’Irlande, qui se tenoient à Bristo, que messire Robert Trésilien étoit mort honteusement. Si prit le roi celle chose en grand dépit ; et dit et jura que la chose ne demoureroit pas ainsi, et que ses oncles faisoient mal quand, sans nul titre de raison, ils lui ôtoient ses hommes et ses chevaliers, qui loyalement l’avoient servi, et son père le prince aussi, et montroient qu’ils le vouloient mettre hors de la couronne d’Angleterre. Or demanda conseil à ceux qui de-lez lui étoient, comment il s’en pourroit servir et que la chose lui touchoit de trop près. À ces jours étoit là l’archevêque d’Yorch, qui étoit le souverain du conseil, et avoit été un grand temps. Si dit : « Monseigneur, vous demandez conseil : et je le vous donnerai. Vos oncles, et tous ceux de leur accord, errent trop grandement contre vous : et semble, à ce qu’ils montrent et font, que vous ne soyez conseillé que de traîtres : et ne peut nul être ouï par dessus eux. C’est un moult grand péril pour tout le royaume ; car, si les communautés s’émouvoient et s’éveilloient, il ne peut être que grand meschef n’avînt en Angleterre, au cas que les seigneurs ne sont mie tout un. Si vous conseille que vous y remédiez et de puissance. Vous demourez pour le présent en marche et contrée assez foisonnable de peuple. Faites un mandement sur tous ceux qui sont taillés de vous servir, gentils-hommes et autres : et, quand ils seront tous mis ensemble, envoyez-les, en la marche de Londres ; et en faites conduiseur et souverain le duc d’Irlande, qui volontiers en prendra la charge ; et n’ait autres bannières, ni pennons, que vos pleines armes, pour mieux montrer que la besogne soit vôtre. Tout le pays, en allant jusques là, se tournera dessous vos bannières, et espoir les Londriens, qui ne vous héent pas, car vous ne leur avez rien mesfait. Tout ce qu’il y peut avoir à présent de ruin, vos oncles l’y ont mis et bouté. Véez-là messire Nicolas Brambre, qui a été maire de Londres un grand temps, et que vous fîtes chevalier, pour le beau service qu’il vous fit un jour qui jà fut, qui connoît, et doit connoître par raison, assez des œuvres des Londriens, car il en est de nation : et ne peut être qu’il n’y ait encore de bons amis. Si lui requérez qu’il vous conseille, pour le mieux, de celle besogne. Elle vous touche trop grandement, car vous pourriez perdre par merveilleuses incidences et par tumulte de peuple, votre seigneurie. » Lors tourna le roi la parole sur messire Nicolas Brambre et le requit de parler. À la requête du roi parla messire Nicolas Brambre, et dit : « Sire roi, et vous tous mes seigneurs, je parlerai volontiers puis que j’en suis requis. Selon l’avis que j’ai, je vous dis tout premièrement, que je ne puis croire, et jà ne croirai, que la greigneur partie des Londriens en amour et en faveur ne s’inclinent devers le roi, monseigneur que vecy ; car parfaitement ils aimèrent monseigneur le prince, son père, de bonne mémoire : et jà lui montrèrent-ils, quand les vilains se rebellèrent et élevèrent. Car, à parler par raison, si les Londriens voulsissent être de leur accord, ils eussent honni le roi et le royaume. Outre, les oncles du roi ont trop bel à la querelle, car ils séjournent là en-my