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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/678

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

gnons. Ceux qui y sont demeurés ne vous lairroient jamais au fort entrer. » — « Avecques vous, dit Aimerigot, n’irai-je point. Je m’en retournerai à mon fort, puis qu’ainsi est. »

Adonc se départirent-ils l’un de l’autre. Perrot tint le chemin de Clermont et de Montferrant. Et avint que, quand ils furent dessous Clermont, ils s’arrêtèrent tout coi, et eurent une nouvelle imagination ; car les trois Gascons qui là étoient, lesquels avoient porté et rapporté les traités de la délivrance de Géronnet de Ladurant, les émurent. Et dirent aux capitaines qui se tenoient tous ensemble. « Véez-ci la cité de Clermont qui est bonne et riche, et aussi prenable, ou plus, que ne soit Montferrant. Nous avons échelles. Échellons là. Nous y aurons plus de profit pour le présent qu’à Montferrant. » Sur ce propos ils furent ainsi comme d’accord, et sur le point que de faire leur fait droit là, quand aucuns des capitaines se ravisèrent, et remirent en terme en disant : « Clermont est une puissante ville et fort peuplée, et les gens bien pourvus d’armures. Si nous les avions jà estourmis, ils s’assembleroient, et mettroient à défense. Il n’est pas doute que nous ne l’aurions pas d’avantage ; et, si nous étions reculés par force d’armes, et nos chevaux pris et perdus, nous ne pourrions aller avant. Nous sommes loin de nos forts. Le pays s’émouveroit. Nous serions poursuivis et en aventure d’être tous morts sans remède. Il nous vaut tous mieux penser d’aller outre, et de fournir ce que nous avons empris, que de faire nouvelle emprise, car trop il nous pourroit coûter. » Ce conseil fut tenu ; nul ne le releva ni débattit depuis. Ils passèrent outre joignant Clermont, au plus bellement qu’ils purent, et sans faire noise ; et chevauchèrent tant, que sur le point d’onze heures ils vinrent assez près de Montferrant. Quand ils virent la ville, ils s’arrêtèrent tout cois, ainsi comme à deux traits d’arc près ; et lors dit Perrot : « Véez-ci Montferrant. Nos gens sont dedans. Vous, demeurez tous ici. Je m’en irai côtoyant ces vallées, pour ouïr et savoir si j’aurai nulles nouvelles de Géronnet, qui nous a mis en celle quête ; et ne vous partez, tant que je retournerai. » — « Or allez, répondirent les compagnons, nous vous attendrons ici ».

À ces mots se départit Perrot le Bernois, lui quatrième tant seulement ; et faisoit si noir, si brun, et si ténébreux, qu’on ne véoit point devant soi un arpent loin ; et encore avec ce il pleuvoit, négeoit, ventoit, et faisoit moult froid. Géronnet à celle heure là étoit sur l’allée des murs ; et n’attendoit autre chose qu’il ouït des nouvelles. Il regarda tout bas et vit, ce lui fut avis, ombres d’hommes qui alloient sur les fossés. Il commença à sifler en fausset. Tantôt l’entendirent ceux qui étoient en aguet, et approchèrent plus près ; car ens ès fossés, à ce lez là, n’y avoit point d’eau. Géronnet parla, en demandant : « Qui est là et qui êtes vous ? » Perrot le reconnut tantôt en son Gascon, et lui dit : « Je suis Perrot le Bernois. Géronnet, es-tu là. » — « Oui, dit-il. Appareillez-vous ; et faites approcher vos gens, car je vous mettrai par ci en la ville. La chose est en point ; tous dorment en la ville. » — « Par là ! répondit Perrot. Dieu m’en garde que jà par là je n’y entre ; car, si j’y entre, ce sera par la porte et non par ailleurs. » Donc, dit Géronnet, qui fut tout courroucé de celle réponse. « Par ma foi, Perrot ! il n’est pas en ma puissance, mais venez par ci ; et faites apporter vos échelles cordées ; et nul ne vous débattra l’entrer ni le monter. » — « Entends, Géronnet, dit Perrot. Tu me dois mettre en la ville. Mais par ce parti, que tu me montres, je n’y entrerai jà fors que par la porte. » — « Je ne le puis amender, dit Géronnet. Par la porte ne vous y puis je mettre, car elle est fermée ; et si sont les gardes dedans, mais ils dorment. » Entrementiers qu’ils étoient en cet estrif, les aucuns des compagnons de Géronnet alloient et venoient dessus les allées des murs, pour savoir s’ils orroient rien. Assez près de là y avoit une petite maison, en descendant des murs ; et celle maison étoit tout aseulée hors des autres ; et un pauvre homme couturier y demeuroit dedans, qui avoit veillé jusques à celle heure et s’en devoit aller coucher. Ainsi que le vent porte le son des choses, il avoit ouï parler sur les murs, car de nuit on oyt moult clair. Si étoit issu hors de la maison et avoit rampé amont ; et d’aventure il trouva ces compagnons qui alloient et venoient. Si tôt comme il les vit, il commença à crier. L’un d’eux saillit tantôt avant, et le prit parmi la gueule, et lui dit : « Villain, tu es mort si tu sonnes mot. » Quand il se vit en ce parti, il se tut tout coi, car il douta la mort. Géronnet se retourna, qui avoit ouï la voix de l’homme et dit : « Ho, ho ! N’occiez pas le vilain. Il nous vient trop bien à point. Dieu le nous en-