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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/699

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LIVRE III.

venue auprès du seigneur de Coucy et aux autres qui ordonnés étoient d’aller en Bretagne devers le duc, si en furent tous réjouis. Et dit le sire de Coucy : « Or, avons nous moins à faire. Je suppose que le duc de Bretagne nous croira quand nous parlerons à lui. » Il me fut dit ainsi, qu’avant que ces trois barons, qui ordonnés étoient de faire ce voyage, se départissent de Paris, les ducs de Berry et de Bourgogne eurent étroit conseil à eux, en disant qu’ils fissent tant par douces paroles, non par rigoureuses, si le duc de Bretagne ne vouloit à ce descendre qu’il venist jusques à Paris, à tout le moins qu’il venist jusques à moyenne du chemin, en la ville de Blois ; et là les trouveroit-il ; et auroient parlement ensemble.

Ces trois barons, qui prudens et pourvus étoient, répondirent qu’ils en feroient leur pouvoir. Or se mirent-ils à chemin, et chevauchèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent en la cité de Rennes en Bretagne, et demandèrent du duc, et on leur dit qu’il étoit à Vennes. Ils prirent le chemin de Vennes, et firent tant par leurs journées qu’ils y arrivèrent. Leur venue étoit jà toute sçue en l’hôtel du duc, car ils avoient envoyé leurs varlets devant pour prendre leurs hôtels. Le duc s’étoit aussi pourvu de bon conseil de-lez lui, et de ceux où il avoit la greigneur fiance, et des hauts barons de Bretagne, pour plus honorablement recueillir les dessus nommés. Quand ils entrèrent en la cité de Vennes on leur fit très bonne chère, et vinrent audevant d’eux les chevaliers et les gens du duc, et proprement le sire de Laval qui là se tenoit. Si descendirent en leurs hôtels, et s’appareillèrent et rafreschirent, et trouvèrent bien de quoi ; et puis montèrent sur leurs chevaux et allèrent droit au chastel, qu’on dit à la Motte, là où ils trouvèrent le duc qui leur vint au devant, et les conjouit et recueillit moult liement ; et leur dit qu’ils fussent tous les bien venus, et qu’il les véoit très volontiers. Et prit le seigneur de Coucy par la main, et par espécial il lui fit grand’chère, et lui dit : « Beau-frère, vous nous soyez le bien venu. Je vous vois volontiers en Bretagne. Si vous montrerai chasses de cerfs et volerie de faucons, beaux et bons, avant que vous départiez de moi. » — « Beau-frère et sire, répondit le sire de Coucy, grand merci ; et tout ce verrons nous volontiers, avec ces seigneurs mes compagnons, qui ci vous sommes venus voir. »

Là y eut grand approchement et grandes accointances d’amour ; et les mena le duc en sa chambre, tout janglant et riant de plusieurs oiseuses paroles, ainsi que seigneurs, qui ne se sont vus de grand temps s’entr’acointent, et comme tous quatre, l’un parmi l’autre, le savoient bien faire, autant bien, ou mieux, que seigneurs que je visse oncques, sans parler du duc de Brabant, du comte de Foix, ni du comte de Savoie ; et par espécial le sire de Coucy en toutes ces choses, en étoit tant qu’à mon avis le souverain maître, et celle grâce lui portoient seigneurs et dames par tout, fût en France, en Angleterre, en Allemagne, en Lombardie, et en tous lieux où il avoit conversé ; si avoit-il en son temps moult travellé et vu du monde ; et de nature il y étoit aussi introduit et enclin. Entrues que ces seigneurs jangloient et parloient de toutes accointances et non d’autre sens, furent apportées épices en beaux drageoirs[1], et bons vins en pots d’or et d’argent. Si prirent les seigneurs vin et épices ; et assez tôt après prirent congé au duc, et retournèrent en leurs hôtels ; mais avant leur département ils allèrent voir la duchesse qui leur fit bonne chère ; et là de rechef ils prirent vin et épices et prirent congé, et puis retournèrent à leurs hôtels pour eux aiser. Ainsi se portèrent les besognes ce premier jour, ni oncques ils n’entamèrent nul de leurs procès sur l’état desquels ils étoient fondés et pour lesquels ils étoient venus en Bretagne.

CHAPITRE CIX.

Comment, cependant que le duc de Lancastre entretenoit Hélion de Lignac, ambaxadeur du duc de Berry, sur le traité du mariage pourparlé, vinrent aussi quelques secrets ambaxadeurs du roi de Castille pour rompre ce mariage, et avoir la fille de Lancastre pour son fils ; et comment Hélion de Lignac fut renvoyé le jour même de leur arrivée, avec certaines trèves, sur les marches d’Aquitaine.


Nous parlerons un petit de messire Hélion de Lignac, lequel le duc de Berry envoyoit devers le duc de Lancastre. Tant exploita le chevalier qu’il vint à Bayonne ; et descendit à l’hôtel ; et s’ordonna et appareilla, ainsi comme à lui appartenoit, pour aller au chastel parler au duc de Lancastre, qui jà étoit informé de sa venue, et envoya moult honorablement devers lui

  1. Vases à mettre des dragées.