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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/698

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

du plus qu’il pourroit bien s’il vouloit. Et ce moyen lui vient de par votre bonne amie et cousine, madame de Bourgogne, sa femme ; car il en a un moult bel enfant, et ce sont ceux qui aujourd’hui le plus près vous attiennent. Or considérez bien doncques, et d’où vous venez, et les parties dont vous êtes issu ; et n’éloignez pas ceux que vous devez approcher, car ce seroit folie ; et si en seriez petit plaint. En Angleterre n’avez vous jamais que faire, car les Anglois sont assez ensoignés d’eux-mêmes. Ils vous montreront bel semblant et promettront grand’amour et grand service, de tant qu’ils penseront à mieux valoir de vous, et rien outre. Vous l’avez éprouvé et le savez de certain, car vous fûtes nourri entre eux dès votre jeunesse. »

Quand le duc de Bretagne eut ouï parler son conseil si vivement, et remontrer les doutes et les périls où il pouvoit encourre, si raisonnablement, si fut tout esbahi, et se tut un long temps sans rien parler ni répondre, lui appuyant sur une fenêtre qui regardoit en my sa cour, son conseil devant et derrière lui. Et là eut plusieurs imaginations ; et, quand il se retourna, il dit ainsi : « Je crois et vois bien du tout clairement, qu’à votre pouvoir me conseillez loyaument, et autre chose ne m’est besoin que bon conseil. Mais comment se pourroit nourrir parfaite amour, où il n’a que toute haine ? Comment pourrai-je aimer Olivier de Cliçon qui tant m’a courroucé, et par tant de fois ? La chose au monde dont je me repens le plus, c’est que je ne le fis mourir, quand je le tins en mon danger au chastel de l’Ermine. » — « En nom Dieu, sire ! dirent ceux de son conseil, s’il eût été occis, et il fût mort, vous ne l’eussiez pas rançonné, ni pris, en saisine son héritage, car nous avons ressort en la chambre de parlement à Paris. Jean de Bretagne et le fils au comte de Rohan, qui sont ses hoirs et héritiers de toutes ses terres, car ses filles sont leurs femmes, se fussent retraits à l’héritage comme au leur. Et de celle chose recevez-vous bien grand blâme et paroles en France ; car quoique vous soyez ici, et que vous teniez la possession des chastels, si est la cause et querelle, demenée et parlementée au palais à Paris, en la chambre de parlement ; et les perdrez par sentence arrêtée, car nul n’est là pour vous qui réponde aux articles dont le connétable vous a mis en jugement. Et quand vous les aurez perdues, lors auront messire Olivier de Cliçon et ses hoirs juste cause et querelle de vous traire en défaut et en titre de guerre. Et, si le roi et le pays de Bretagne vous veulent gréver, et eux aider, il vous faudra plus grand’puissance avoir pour vous défendre que nous ne voyons à présent que vous ayez. Si vaut trop mieux plaider pendant que vous remettez les chastels arrière, et qu’on vous en sache gré, que non pas adonc qu’une définitive sentence et un arrêt à votre condamnation du parlement vienne sur vous. Et de l’argent, c’est bon droit, si vous êtes pressé jusques à là, on prendra termes. Ainsi vous départirez-vous d’esclandre du peuple, qu’on doit moult ressoigner à son déshonneur, et vous reformerez, comme en devant, en paix et en amour envers ceux où vous le devez être : c’est le roi de France, votre souverain et naturel seigneur, et monseigneur de Bourgogne et vos cousins, ses enfans. À l’exemple de quoi vous avez vu, de votre temps, le comte de Flandre, votre cousin-germain, qui étoit si haut prince, si sage et si vaillant, comment sur la fin de ses jour eut-il affaire par incidences merveilleuses qui lui survinrent ; et convint, ou autrement il eût été homme comme du tout défait et bouté hors de son héritage, qu’il s’humiliât envers le roi de France et ses oncles, et les nobles du royaume, qui tous lui aidèrent à recouvrer son héritage. » — « Or, dit le duc, je vois bien, puisque j’ai demandé conseil qu’il faut que je le prenne et accepte votre parole et ce qu’avez dit. »

Il me semble que, depuis, les choses se portèrent si bien qu’on en vit l’apparent : car le duc de Bretagne, qui bouté s’étoit en possession et saisine des chastels du connétable, si comme vous savez et que ci-dessus est contenu, remanda ses gens et se déporta de la saisine, et furent rétablis les hommes du connétable. Ainsi s’amodérèrent les besognes. Nequedent celle restitution ainsi faite ne suffit pas encore au conseil du roi, si le connétable ne r’avoit tout son argent, et, outre, si le duc ne venoit en personne s’excuser à Paris au roi, présens les pairs de France, et, de l’amende, en attendre l’aventure telle que les pairs du royaume de France, par grand’délibération du conseil, voudroient juger sur lui.

Quand les nouvelles de la restitution du chastels du connétable et la vraie connoissance en fut