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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/703

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LIVRE III.

à héritière droiturière d’Espaigne, je voudrois bien savoir qui l’aura par mariage, ni que elle deviendra. » — « C’est raison, monseigneur, » répondit le confesseur.

Ainsi comme je vous conte, se commencèrent à entamer les procès et les traités entre le duc de Lancastre et ces parties, tant de Castille comme de France : et tous les retenoit ; ni à nuls ne donnoit congé ; et faisoit à tous bonne chère. Mais, en son imagination, le traité en Espaigne, de sa fille à avoir le fils du roi, lui sembloit meilleur et plus bel que d’autre part ; pourtant qu’au temps avenir sa fille demoureroit roine de Castille ; et aussi la duchesse, sa femme, s’y inclinoit trop mieux que d’autre part. Nous nous souffrirons un petit à parler du duc de Lancastre et de tous ces traités ; et retournerons à parler du duc de Bretagne et des ambaxadeurs que le roi de France avoit là envoyés, et ses deux oncles par espécial.

CHAPITRE CX.

Comment les ducs de Berry et de Bourgogne partirent pour aller à Blois et des parlemens et traités ; qui furent faits au duc ne Bretagne, qui là vint ; tellement qu’ils l’emmenèrent à Paris, ainsi comme outre et contre sa volonté propre.


Si comme il est ci-dessus contenu, et que je vous ai commencé à dire, fit le duc de Bretagne aux ambaxadeurs de France très bonne chère, et par espécial au seigneur de Coucy, car il avoit grand désir du voir. Le sire de Coucy, si comme je fus adoncques informé, fut l’un de ceux qui plus brisa le duc de Bretagne par ses belles, douces et subtiles paroles : quoique messire Jean de Vienne et le sire de la Rivière en fissent aussi, du traiter et du parler, très bien leur devoir ; mais il ne fut oncques heure, qu’un prince et un seigneur, puisqu’on le prie, ne s’inclinât plutôt aux traités et paroles d’un homme que d’un autre. À grand’peine voult accorder le duc de Bretagne qu’il viendroit jusques en la ville de Blois, à l’encontre des ducs de Berry et de Bourgogne. Toutefois il fut mené par tant de belles paroles qu’il l’accorda ; mais il dit qu’il n’iroit plus avant. « C’est notre entente, sire, ce dit le sire de Coucy, s’il ne vous vient grandement bien à plaisance et bien à point. »

Ces trois seigneurs furent avecques le duc de Bretagne ne sais quants jours, et puis prirent congé, et retournèrent en France, et contèrent aux ducs de Berry et de Bourgogne comment ils avoient exploité. Sur cel état les deux ducs s’ordonnèrent pour aller à Blois, et de là en la ville de Blois attendre le duc de Bretagne, et parlementer à lui ; et envoyèrent faire devant leurs pourvéances, ainsi comme à eux appartenoit. Tout premièrement le duc de Berry y vint. Si se logea au chastel, et là trouva la comtesse de Blois, et son fils et sa fille, qui recueillirent grandement et bellement, ainsi comme à lui appartenoit, et que bien le savoit faire. Le comte Guy de Blois pour ce jour étoit en son pays ; mais il se tenoit au chastel Regnaud, et ne faisoit nul grand compte de la venue du duc de Bretagne. Il suffisoit assez quand la comtesse sa femme et ses enfans y étoient. Or y vint le duc de Bourgogne à grand arroi ; et vint adonc en sa compagnie messire Guillaume de Hainaut, son gendre, comte d’Ostrevant, et Jean de Bourgogne, fils du duc qui se nommoit comte de Nevers. Si se logea le duc au chastel ; et tint là son état. Après ce, vint le duc de Bretagne, non pas en trop grand arroi, mais son hôtel seulement : bien étoit à trois cens chevaux, car l’intention de lui étoit telle que, vu les ducs dessus nommés et parlé à eux, sans venir plus avant en France, il retourneroit arrière en son pays dont il étoit parti ; et l’intention des ducs de Berry et de Bourgogne étoit tout autre, car ils disoient que, voulsist ou non, ils le feroient venir jusques à Paris.

Le duc de Bretagne, son corps, se logea dedans le chastel de Blois, chez une chanoinie de Saint-Sauveur ; et ses gens se logèrent bas en la ville. Aussi firent les gens des ducs et des comtes dessus nommés ; mais les seigneurs tenoient leur état au chastel : lequel est bel, grand, fort et plantureux, et un des plus beaux du royaume de France. Là furent les seigneurs en parlement ensemble ; et firent les deux ducs de Berry et Bourgogne au duc de Bretagne bonne chère, et lui montrèrent grand amour ; et le remercièrent grandement de ce qu’il s’étoit tant travaillé qu’à leur prière il étoit là venu et descendu en la ville de Blois. Le duc de Bretagne se feignoit ce qu’il pouvoit, et disoit que pour l’amour d’eux votrement étoit là venu et à grand’peine, car il n’étoit pas bien haitié. Or s’entamèrent paroles et traités de ces deux ducs au duc de Bretagne, en lui remontrant, puisqu’il