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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

traire et blesser ; et, quand ils auront fait leur envahie, ils retourneront. Les Anglois saudront tous dehors. Ils sont tous de pied. Nous remettrons nos arbalêtriers derrière, qui le pas retourneront vers la ville ; et ces premiers nous recueillerons aux fers des lances ; et aurons nous, qui serons sur nos chevaux, grand avantage de leur porter dommage. »

Tous ceux qui ouïrent les chevaliers parler les tinrent à sages et bien vaillans hommes, et s’accordèrent à ce conseil ; et mirent ensemble les arbalêtriers et les gros varlets, et en trouvèrent bien douze cens, que uns que autres. Quand ce vint au matin, droit à l’aube du jour, ils furent tous appareillés dedans la ville de la Rochelle ; et s’assemblèrent en la place, et se partirent tout premièrement les arbalêtriers et les gens de pied ; et se mirent au chemin, de bon pas, pour venir au logis des Anglois. Endementiers s’ordonnèrent et appareillèrent ceux de cheval ; et étoient bien environ trois cens, car il y avoit des chevaliers et des écuyers, qui venus étoient en la Rochelle si tôt comme ils ouïrent dire que les Anglois étoient arrivés à Marault. Si issirent les hommes de cheval et les deux chevaliers devant qui les menoient. Certes, si par aucune inspiration les Anglois eussent sçu la venue des Rochellois, et qu’ils pussent avoir mis sus une belle embûche de deux cens archers et de cent hommes d’armes, il n’en fût jà pié retourné.

Quand les archers et les arbalêtriers de la Rochelle vinrent sur le logis des Anglois, il étoit encore assez matin ; et tant y eut de bon pour eux que le guet qu’ils avoient fait la nuit jusqu’au soleil levant étoit retrait. Les arbalêtriers commencèrent à tendre leurs arcs en approchant les Anglois, et puis à traire ; les sagettes passoient parmi ces feuilles. Donc les Anglois qui étoient en leurs logis, ou se reposoient sur litière d’estrain qu’ils avoient faite, s’émerveilloient dont ces traits venoient. Si en y avoit beaucoup de blessés, avant qu’ils sçussent que ce fussent les François. Quand ils eurent trait environ six coups chacun, ils se mirent au retour le bon pas, ainsi que ordonné étoit. Adonc approchèrent les gens d’armes, lesquels étoient tous bien montés ; et se mirent entre les logis des Anglois et leurs gens. Lors se commença l’ost à estourmir, et chevaliers et écuyers à eux armer, et archers à issir hors de leurs logis et venir sur les champs, et eux mettre ensemble et amonceler.

Quand les capitaines françois virent que l’ost s’estourmissoit si au vrai, et que chevaliers et écuyers se recueilloient sur les champs, si suivirent leurs gens qui s’en r’alloient le bon pas, et jà étoient les premiers moult près de la Rochelle, car ils doutoient le trait des Anglois. Ainsi, en hériant et trayant, furent les Rochellois amenés et poursuivis jusques bien près de la Rochelle ; et alors véez-ci venir le comte d’Arondel et plus de quatre cens hommes d’armes qui avoient poursuivi le grand pas, chacun son glaive en ses mains ou sur son col. Là fut grand l’empêchement des hommes de pied, et la presse moult grande au rentrer en la Rochelle. Messire Pierre de Yon et messire Pierre Taillepié ouvrèrent comme vaillans gens, car, en défendant et en gardant leurs gens, ils se mirent derrière ; et firent tant toutes fois qu’ils vinrent aux barrières ; et toujours les poursuivoient les Anglois. Là furent en grand’aventure les deux chevaliers d’être morts ou pris en faisant armes. Car l’assemblée étoit plus sur eux que sur nul des autres, pourtant qu’on véoit bien que c’étoient les maîtres. Dont il avint que messire Pierre de Joy eut mort dessous lui son coursier ; et à grand peine fut-il tiré de leurs gens, dedans les barrières ; et messire Pierre Taillepié fut féru d’un glaive tout outre la cuisse, et d’une flèche parmi le bassinet, jusques dedans la tête ; et vint mourir le cheval sur quoi il séoit dedans la porte, à ses pieds. À l’entrer en la ville y eut grand’occision, et blessés plus de quarante. On étoit monté en la porte : si traioient canons et bombardes sur les Anglois, par les quels traits ils se reculoient tant qu’ils n’osoient approcher ni bouter dedans. Ainsi se porta celle première escarmouche des Rochellois et des Anglois. Quand ils eurent escarmouché jusques bien près de nonne, le comte d’Arondel fit sonner la retraite. Adonc se trairent moult ordonnément et par bon arroi gens d’armes et archers, et tout le pas, jusques à leurs logis ; et là se désarmèrent et pensèrent d’eux ; car bien avoient de quoi. De vins et de chairs étoient-ils biens pourvus, car moult en avoient-ils trouvé sur le pays.

Si se tinrent ces seigneurs et chevaliers d’Angleterre là environ Marault et la place où le