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LIVRE III.

d’armes et deux cens archers, pour garder la navie, qui étoit au hâvre, et là gisoit à l’ancre à l’embouchure de la mer. Puis, quand ils eurent tout ainsi ordonné, ils nagèrent tant qu’ils vinrent à Marault ; et là prirent-ils terre tout à grand loisir, car nul ne leur dévéoit ; et se logèrent tous sur terre, entre Marault et la ville de la Rochelle, laquelle siéd à quatre petites lieues de là.

Ces nouvelles s’épandirent sur le pays, que les Anglois étoient arrivés à Marault, et pris terre ; et étoient bien quatre cens combattans, parmi les archers. Si furent le plat pays, les villes et les chastels, tous effrayés et sur leur garde : et commencèrent ceux des villages à fuir devant eux et à retraire leurs biens dans les forts, en Soubise et ailleurs, là où le plus tôt ils se pouvoient sauver et trouvoient recueillette.

CHAPITRE CXIII.

Comment ceux de Rochelois allèrent escarmoucher aux Anglois, près Marault : comment les Anglois, après avoir pillé le pays d’environ, se retirèrent en leurs vaisseaux sur la mer avec leur pillage ; et comment Perrot le Bernois se retira semblablement en son fort avec grand butin.


Si les Anglois eussent eu chevaux à leur aise pour courir le pays de Rochelois, ils eussent grandement fait leur profit, car le pays étoit tout dégarni de gens d’armes, voire pour eux aller au devant. Bien est vérité que le sire de Parthenay, le sire de Pons, le sire de Linières, le sire de Tonay-Bouton, messire Geoffroy d’Argenton, le sire de Montendre, messire Aimery de Rochechouart, le vicomte de Thouars, et plusieurs chevaliers et écuyers de Poitou et de Saintonge, étoient au pays : mais c’étoit chacun en son hôtel et en son fort, car le pays n’étoit pas avisé de la venue des Anglois. S’ils en eussent été signifiés en devant, un mois ou environ, et qu’ils eussent sçu de vérité que les Anglois arriveroient en tel jour à Marault, ils y eussent bien pourvu ; mais nenny, celle chose leur vint soudainement sur les mains ; pourquoi ils en furent plus effrayés. Et mettoit chacun peine et entente de garder le sien, et les bonnes gens du plat pays à moissonner hâtivement les blés, car il étoit entrée d’août. Avecques tout ce, il n’y avoit nul chef au pays qui les émût.

Le duc de Berry qui étoit sire et souverain de Poitou, étoit en France. Le sénéchal de Poitou étoit venu nouvellement à Paris. Le sénéchal de Saintonge n’étoit pas aussi en sa sénéchaussée. Le sénéchal de la Rochelle, messire Hélion de Lignac, n’étoit pas à la Rochelle ni au pays, mais grandement embesogné pour le duc de Berry, allant et retournant, en ces jours, sur le chemin de Bayonne et de France ; et par ces raisons le pays en étoit plus foible. Car, qui défaut de bons chefs, il défaut de bon moyen et de bon pied ; et, qui n’a bon pied, il ne peut faire chose qui vaille. Aussi étoient les terres dessus dites effrayées par deux manières, car ils avoient les Anglois devant eux, l’armée de mer, si comme vous pouvez ouïr ; et d’autre part, les nouvelles leur venoient fort, des parties de Berry et de Limousin, que Perrot le Bernois chevauchoit et menoit plus de cinq cens combattans ; et jà étoient entrés en Berry. Si ne savoient auquel entendre, fors à garder le leur, car renommée couroit que ces deux osts se trouveroient et rencontreroient, fût en Poitou ou en Saintonge. Telle étoit l’imagination de plusieurs.

Vérité est qu’en la ville de la Rochelle étoient, pour ces jours que les Anglois prirent terre à Marault, deux vaillans chevaliers de la nation de Beausse. L’un appeloit-on messire Pierre de Yon, et l’autre messire Pierre Taillepié : lesquels messire Hélion de Lignac avoit mis, laissés et établis, à son département, en la Rochelle, pour garder la ville et le pays ; et ils s’en acquittèrent à leur pouvoir loyaument. Quand ils sçurent, et les nouvelles leur furent venues à la Rochelle, que le comte d’Arondel et l’armée de mer dont on avoit parlé toute la saison avoit pris terre dessous Marault, et que là ils se logeoient, si dirent à ceux de leur charge et au maieur de la Rochelle, et aux bonnes gens, car c’est une ville assez peuplée : « Il nous faut aller voir le logis et le convenant des Anglois. On nous a dit qu’ils se logent et amassent en ce pays. Nous voulons, moi et mon compagnon, aller querre leur bien venue : ou ils la payeront, ou nous la leur payerons. Mais blâme nous seroit et reproche grand, au cas que nous avons à garder pour le présent celle ville et le pays, si paisiblement nous les y laissons arrêter. Et si y a un point moult bel pour nous, c’est ce que ils n’ont point de chevaux ; ce sont gens de mer. Nous serons tous bien montés, et envoyerons nos arbalêtriers devant qui les iront réveiller,