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LIVRE III.

roi et à ses oncles, mais on n’y pouvoit entendre, car en Angleterre, pour celle saison, ils étoient tous entriboulés et en mauvais arroi, quoique le roi se fût reformé en nouveau conseil, par l’ordonnance de ses oncles et de l’archevêque de Cantorbie.

Bien en fut parlementé, environ la Saint-Jean Baptiste, à savoir si on envoyeroit gens d’armes et archers en Guerles, pour conforter le duc, ainsi qu’enconvenancé lui avoit été. Mais, tout considéré et imaginé les besognes d’Angleterre, on ne le trouvoit point en conseil, car renommée couroit au dit royaume d’Angleterre, que le roi de France faisoit un secret mandement ; mais on ne savoit dire là où il voudroit ses gens envoyer ; et faisoient doute les Anglois par imagination, qu’ils viendroient devant Calais. Avecques toutes ces doutes ils n’étoient pas bien assurés de la bande et du royaume d’Escosse ; car le sire de Percy, comte de Northonbrelande et les barons des frontières d’Escosse avoient entendu, ainsi que renommée court de pays en autres, que les Escossois se pourvéoient et chevaucheroient en cel été. Pourtant ne s’osoient-ils, en Angleterre, dénuer de gens d’armes ni d’archers, car jà en avoit sur l’armée de la mer avec le comte d’Arondel grand’foison ; et si convenoit que leur pays fût gardé et pourvu. Si disoient les aucuns, en le conseil des nobles d’Angleterre. « Nenny, laissez le duc de Guerles convenir. Il est de soi moult vaillant et chevaleureux ; et si demeure en fort pays. Il se chevira bien de la guerre contre ces Brabançons. Si plus grand’chose lui sourdoit, tout à temps seroit-il reconforté. Il a les Allemands de son accord, et ses voisins qui autrefois se sont mis en sa route, à l’encontre des Brabançons et des François. »

Ainsi se portoient les choses en Angleterre ; mais ceux de la ville de Gavres en avoient la peine, les assauts et les escarmouches. Or avisèrent, en celle saison que le siége se tenoit devant Gavres, les Brabançons qui jà se commençoient à tanner et lasser, que ils feroient faire et ouvrer et charpenter un pont de bois, sur la rivière de Meuse ; et par là entreroient-ils en la duché de Guerles et détruiroient le pays : parquoi nulle douceur, ni nuls vivres, ne viendroient en la ville de Gavres ; et se trouveroient gens assez pour assiéger, d’autre part la rivière, la ville de Gavres ; et clorroient tellement le pas de tous lez que nulles pourvéances n’y viendroient, et par ce parti ils l’affameroient. Si mirent tantôt grand’foison d’ouvriers et de charpentiers en œuvre ; et se hâta-t-on grandement d’ouvrer et charpenter ce pont sur le rivage ; et à la mesure qu’on l’ouvroit et le charpentoit, on l’asséoit sur la rivière, et les jetées mises fortes et bien appuyées dedans la rivière. Si fut le dit pont ouvré et charpenté et mené moult avant, et si près de la terre et du rivage à l’autre lez que les Guerlois y pouvoient bien avenir du jet d’une lance. Quand ceux de la garnison de Gavres virent qu’on les approchoit de si près, si se doutèrent grandement ; et eurent conseil et avis entre eux comment ils s’en cheviroient. Ils assirent leurs canons et leurs trébus et arcs à tour sur leur rivage, et firent traire et lancer si roide et si ouniement aux ouvriers qui ce pont menoient et édifioient que moult en occirent ; et n’osoit nul aller avant. Et jetoient leurs engins feu très grand, par quoi le pont fut tout ars jusques aux estaches dedans l’eau. Ainsi fut le pont perdu et défait, et perdirent les Brabançons toute leur peine et les coûtages que coûté avoit le pont à faire, Quand les seigneurs de Brabant et les consaulx des bonnes villes virent que ils avoient ainsi perdu leur temps, si se remirent ensemble pour avoir nouveau conseil.

CHAPITRE CXV.

Comment les Brabançons passèrent parmi la ville de Ravestain en Guerles et comment le duc de Guerles se partit de Nimaige, atout trois cens lances, et vint à l’encontre des Brabançons, et comment il les déconfit entre Ravestain et Gavres.


À trois lieues petites de la ville de Gavres, et sur celle même rivière, siéd la ville et le chastel de Ravestain, lequel est héritage au baron de Borne ; et cil sire de Borne est des hommes et des tenables du Brabant ; et étoit là au dit siége avec les autres. Si fut requis et prié, de par le conseil de la duchesse de Brabant et de par les barons et chevaliers et bonnes villes de Brabant, que il voulsist ouvrir sa ville de Ravestain, pour passer, parmi une partie de leur ost, et pour aller courir au pays de Guerles. Envis le fit, car le duc de Guerles lui est trop voisin ; mais faire lui convenoit, puisqu’il en étoit requis de sa dame naturelle et de ceux de son lez, ou autrement on eût eu soupçon très grand sur lui,