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LIVRE IV.

De celle réponse se contentèrent les Anglois grandement. Adonc rentra le roi en autres paroles et puis vint l’heure du dîner. Les chevaliers d’Angleterre furent retenus pour dîner en l’hôtel du Louvre et rechargés au seigneur de Coucy et au seigneur de la Rivière, lesquels les prirent et les menèrent en une chambre parée et ornée moult richement. Et l’avoit-on couvert pour eux. Si y dînèrent bien et par loisir ; et leur firent à table le connétable et le sire de Coucy compagnie ; et quand ils eurent dîné, ils retournèrent en la chambre du roi, et là furent tant que on apporta vin et épices en grands drageoirs d’or et d’argent. Le vin et les épices pris, les chevaliers d’Angleterre prirent congé au roi et aux seigneurs, et se départirent de la chambre, et vinrent en la place, puis montèrent sur leurs chevaux et retournèrent à leur hôtel dessus dit.

La venue de messire Thomas de Percy et des chevaliers d’Angleterre, et les nouvelles que ils eurent apportées plurent grandement au roi de France et au duc de Bourgogne et à plusieurs du conseil du roi, et non pas à tous, et par espécial à ceux qui aidoient à soutenir le pape d’Avignon ; car ils véoient bien que, par celles nouvelles et traités qui se commençoient à entamer, où le roi s’inclinoit, entre le roi de France et le roi d’Angleterre, se retardoit grandement le voyage qui étoit empris pour aller à Rome détruire le pape Boniface et les cardinaux, ou ramener à la crédence et subjection du pape Clément d’Avignon. La chose étoit si haute et si belle du traité de la paix, et tant touchoit pour le profit commun de toute chrétienté, que nul n’osoit parler du contraire ; et le duc de Bourgogne et son conseil, avecques le roi et son frère et le duc de Bourbon, étoient tous en un. Le roi fit très bonne chère à messire Thomas de Percy et aux Anglois ; mais en leur compagnie avoit un chevalier, lequel on appeloit messire Robert Briquet, que il ne véoit pas trop volontiers, lequel étoit de la nation du royaume de France, où toujours avoit été ou Navarrois ou Anglois, et encore étoit-il de la chambre du roi d’Angleterre. Si dissimuloit le roi assez sagement, mais quand il parlementoit à eux, si tournoit toujours ses paroles sur Thomas de Percy ou messire Louis de Cliffort, ou sur messire Jean Clanvou ; et disoit bien le roi de France : « Nous verrons volontiers la paix entre nous et notre adversaire d’Angleterre, car la guerre et la querelle de dissension a trop longuement duré. Et vueil bien que vous sachiez que point ne demeurera en nous pour y mettre grandement du nôtre. » — « Sire, répondirent les chevaliers, notre sire le roi d’Angleterre, qui nous a ci transmis, y a très bonne affection, et dit que point ne demeurera en lui ; et que la guerre et dissension entre vos terres et pays a trop longuement duré ; et s’émerveille par fois comment aucuns moyens bons, sages et amiables, ne s’en sont ensoignés plus acertes. » — « Or, répondit le roi de France, nous verrons la bonne affection qu’il y a. »

Ainsi furent les Anglois à Paris six jours, et tous dînèrent hors de leur hôtel avecques l’un des ducs. En ces six jours qu’ils reposèrent et séjournèrent à Paris, il fut proposé, parlementé et arrêté sûrement, que le roi de France et son frère et ses oncles, et son souverain et espécial conseil seroient à la moitié du mois de mars en la cité d’Amiens, si venir y vouloient, et là attendroient le roi d’Angleterre, ses oncles et leurs consaulx. Les chevaliers d’Angleterre qui là étoient se firent forts de toutes ces ordonnances appartenant à leur côté, et dirent bien que point n’y auroit de deffaute, du moins que les oncles du roi d’Angleterre et son conseil du royaume d’Angleterre ne fussent au jour assis et préfix en la cité d’Amiens. Ainsi se porta la conclusion de celle ordonnance. Le jour devant que les Anglois devoient partir de Paris et prendre congé au roi, le roi vint au palais ; et là furent ses frères et ses oncles ; et donna à dîner très notablement aux chevaliers d’Angleterre ; et fit messire Thomas de Percy seoir à sa table ; et l’appeloit et tenoit pour son cousin du côté de Northombrelande. À ce dîner furent donnés et présentés à messire Thomas de Percy et aux chevaliers d’Angleterre, et aux écuyers d’honneur de leur côté, grands dons et beaux joyaux ; mais en donnant et présentant on passa messire Robert Briquet ; et dit le chevalier qui les dons asséoit et présentoit, ce fut messire Pierre de Villers, souverain maître de l’hôtel du roi : « Quand vous aurez fait service au roi qui lui plaise, il est riche et puissant assez pour vous rémunérer. » À ces mots le chevalier passa outre et messire Robert Briquet demeura tout pensif et mérencolieux, et connut bien que le