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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/110

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

pour ce que ils en pensoient mieux à valoir, et pour employer leur saison. Et se ordonnoient toutes gens sur cel état ; et mêmement le clergé par les provinces se vouloit tailler et ordonner pour envoyer à leurs dépens de leurs gens avecques le roi de France. Or tourna ce voyage tout à néant, si comme le duc de Bretagne l’avoit proposé, et je vous dirai par quelle incidence.

Environ la Chandeleur, vinrent autres nouvelles au roi de France et à son conseil, dont on ne se donnoit de garde, ni point on ne pensoit sur ce, ni avoit pensé. Le conseil du roi Richard d’Angleterre et le plus prochain qu’il eut, celui de sa chambre, fut envoyé en très bon arroy à Paris devers le roi de France ; et étoient les souverains de cette légation messire Thomas de Percy, messire Louis de Cliffort et messire Robert Briquet. Encore y avoit-il autres chevaliers en leur compagnie, mais je n’en ouïs pour lors plus nommer. Quand ces trois chevaliers d’Angleterre et de la chambre du roi furent venus en la cité de Paris, il en fut très grand’nouvelle ; si étoit bien leur venue devant signifiée au roi de France, car le roi d’Angleterre lui avoit escript et envoyé lettres par certain message, que il envoieroit prochainement devers lui à Paris de son plus espécial conseil, et que il s’y laissât trouver. Si désiroit fortement le roi de France, sur la forme et teneur de ces lettres, quelle chose ce pourroit être que le roi d’Angleterre pour le présent si hâtivement voudroit traiter et proposer.

Si descendirent ces chevaliers d’Angleterre, messire Thomas de Percy et les autres, en la rue que on dit à la Croix au Tiroi, à l’hôtel et enseigne du Chastel-Festu ; et là se logèrent pour lors. Le roi de France étoit pour lors au chastel du Louvre, et son frère le duc de Touraine avecques, et ses trois oncles en leurs hôtels à Paris, et le connétable, messire Olivier de Cliçon. Le jour que les Anglois vinrent à Paris, ce fut après nonne ; si se tinrent tout ce jour et la nuit ensuivant à leur hôtel, sans point issir hors. À lendemain, sur le point de neuf heures, ils montèrent tous à cheval moult honorablement ; et s’en allèrent au Louvre devers le roi qui les attendoit, son frère et ses oncles avecques lui, le comte de Saint-Pol aussi, le sire de Coucy, le connétable de France, messire Jean de Vienne, messire Guy de la Trémoille et plusieurs hauts barons de France. Ils descendirent en la place devant le chastel et entrèrent en la porte. Tout premièrement ils trouvèrent le seigneur de la Rivière, messire Jean le Mercier, messire Hélion de Lignac, messire Pierre de Villers, messire Guillaume de la Trémoille et messire Guillaume Marcel, qui les recueillirent comme les chevaliers de la chambre du roi, et les amenèrent là-dedans moult doucement en une belle chambre où le roi les attendoit. Quand ils furent là venus, ils ôtèrent leurs chaperons et s’inclinèrent tout jus. Messire Thomas de Percy tenoit les lettres de créance que le roi d’Angleterre envoyoit au roi de France. Si les bailla au roi, qui les prit ; et en prenant il fit lever les chevaliers. Quand ils furent levés, ils se trairent arrière et le roi ouvrit les lettres, les legit, et vit que il y avoit créance : si appela son frère et ses oncles et leur montra. Donc dirent ces seigneurs qui là étoient : « Monseigneur, appelez les chevaliers et sachez quelle chose ils veulent dire. » Le roi le fit ; les chevaliers anglois furent appelés, et demandés de la créance quelle chose ils vouloient dire. Messire Thomas de Percy parla et dit ainsi : « Cher sire, l’intention de notre seigneur le roi d’Angleterre est telle, que volontiers il verroit que son plus espécial conseil, tels que ses oncles, monseigneur de Lancastre et monseigneur d’Yorch ou de Glocestre, et aucuns prélats d’Angleterre là où le pays de sens et crédence se confie le plus, fussent en la présence de vous et de votre conseil assez prochainement, sur forme et état de traité de paix. Et si par aucune voie convenable et raisonnable on pouvoit entre vous et lui, vos conjoins et adhérens, et les siens, trouver moyen et conclusion de paix, il en auroit grand’joie ; et ne plaindroit point la peine ni travail de lui et de ses hommes, pour venir ou envoyer suffisamment les dessus nommés par deçà la mer, fût en la cité d’Amiens ou ailleurs, là où l’assignation seroit faite. Et sur cel état sommes-nous ci venus et envoyés pour en savoir votre entente. »

— « Messire Thomas, répondit le roi, messire Thomas, et vous autres, vous nous êtes les bien-venus ; et de votre venue et parole avons-nous grand’joie. Vous ne vous partirez pas si très tôt de Paris. Et nous parlerons à notre conseil. Si vous en ferons réponse si convenable avant votre parlement que bien vous devra suffire. »