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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

sa terre saisie, et lui sur le point d’être banni et de perdre le royaume de France ; mais le sire de Coucy et le duc de Bourbon qui l’aimoient prièrent pour lui ; et à grand’peine lui acquirent sa paix, avecques l’aide de la comtesse de Saint-Pol devant qui les paroles avoient été prononcées. Et lui fut dit à sa délivrance : « Sire de Clary, vous cuidâtes trop bien avoir fait et trop vilainement avez ouvré, quand vous vous offrîtes à faire armes à messire Pierre de Courtenay qui étoit au conduit du roi, et on le vous avoit baillé en garde pour mener et conduire jusques en la ville de Calais. Vous fîtes un grand outrage, quand vous relevâtes les paroles lesquelles il disoit en gengles à la comtesse de Saint-Pol, devant que vous dussiez être retourné en France devers les seigneurs, et eux dit et remontré : « Telles paroles impétueuses contre l’honneur des chevaliers de France a dit en la présence de moi messire Pierre de Courtenay. » Et ce que on vous en eût conseillé à faire dussiez avoir fait ; et pour ce que point ne l’avez fait avez-vous eu cette peine. Or soyez une autre fois mieux avisé, et si remerciez de votre délivrance monseigneur de Bourbon et le sire de Coucy, car ils y ont fort entendu pour vous, et aussi à la comtesse de Saint-Pol, car la bonne dame s’en est grandement bien acquittée de vous aider à excuser. » Le sire de Clary répondit et dit : « Grands mercis ! mais je cuidois avoir bien fait. »

CHAPITRE VI.

Comment les joutes de Saint-Ingelleberth furent emprises et les faits d’armes par mesure Regnaut de Roye, messire Boucicault le jeune et le sire de Saint-Py.


Le roi de France séjournant en la bonne ville de Montpellier en ébattement et reviaulx, si comme il est ici dessus contenu, à un banquet qui fut très beau et bien étoffé, lequel il avoit donné aux dames et aux damoiselles de la dite ville de Montpellier, furent recordées et mises avant toutes ces paroles lesquelles je vous ai proposées ; et la cause pourquoi elles furent là récitées, je le vous dirai.

Vérité est que je vous ai commencé à parler de trois vaillans chevaliers de France : c’est à savoir messire Boucicault le jeune, messire Regnaut de Roye et le sire de Saint-Py ; lesquels trois avoient entrepris à faire armes en la frontière de Calais sur le temps d’été qui retournoit, attendant tous chevaliers et écuyers étranges le terme de trente jours qui jouter à eux voudroient, fût de glaive de paix ou de guerre. Et pour ce que l’entreprise des trois chevaliers sembloit au roi de France, et à ceux et celles qui là étoient, très hautaine, il leur fut dit et remontré pour le meilleur que ils le fissent écrire et jeter en un feuillet de papier, car le roi et son conseil le vouloient voir et collationner ; et si rien d’outrageux avoit en la dite emprise, on le cancelleroit et amenderoit ; car le roi et son conseil ne vouloient mettre sus, ni faire chose nulle ni soutenir, qui fût déraisonnable. Les trois chevaliers à cette requête répondirent et dirent : « Vous parlez de raison, nous le ferons volontiers. » Si prirent un clerc, et encre et papier, et se boutèrent en une chambre, et escripsit le clerc ainsi.

« Pour le grand désir que nous avons de voir et d’avoir la connoissance des nobles gentils hommes, chevaliers et écuyers étranges du royaume de France et des autres royaumes lointains, nous serons à Saint-Ingeleberth le vingtième jour du mois de mai prochainement venant, et y serons trente jours accomplis tous continuels ; et tous les trente jours, hormis les vendredis, délivrerons toutes manières de chevaliers et d’écuyers, gentils hommes étranges, de quelques marches qu’ils soient, qui venir y voudront, chacun de cinq pointes de glaive ou de cinq de rochet, lequel que mieux leur plaira ; de tous les deux si ce leur agrée. Et au dehors de notre logement seront trouvés nos targes et nos écus armoriés de nos armes, c’est à entendre de nos targes de guerre et de nos écus de paix. Et quiconque voudra jouter, vienne ou envoie le jour devant heurter ou toucher d’une vergette auquel que mieux lui plaira à choisir, et s’il heurte ou fait heurter à la targe de guerre, à lendemain, de quel homme qu’il voudra il aura la joute de guerre ; et si il heurte ou fait heurter à la targe de paix, il aura la joute de paix ; et conviendra que tous ceux qui voudront ou envoyeront jouter ou heurter disent ou fassent dire leurs noms à ceux qui commis y seront de par nous à garder les targes de guerre et les écus de paix ; et seront tenus tous chevaliers et écuyers étrangers qui jouter voudront d’amener un noble homme de leur part, et nous