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LIVRE IV.

CHAPITRE LXXX.

Comment aucuns seigneurs d’Angleterre mirent sus une armée pour délivrer le roi Richard et détruire le roi Henry, et comment ils en moururent.


Plusieurs argumens et questions furent en Angleterre des nobles et des consaux des cités et bonnes villes, que Richard de Bordeaux fût mort, par quoi on ne pensât plus sur lui, car bien l’avoit desservi. À ces cas et articles répondoit le roi Henry qui pitié en avoit, et disoit : que jà sa mort il ne consentiroît, et que la prison où il étoit tenu devoit suffire. Et remontroit qu’il l’avoit pris sur lui ; si lui tiendroit sa promesse entièrement. On disoit au roi, ceux qui nuire le vouloient : « Sire, nous véons bien que pitié vous meut à ce dire et faire ; mais vous faites pour vous une périlleuse garde ; car tant comme il sera en vie, quoique moult doucement il vous ait résigné la couronne d’Angleterre, et que tous vous ont reçu à roi et fait foi, serment et hommage, il ne peut être qu’il n’y ait encore en ce pays aucuns qui l’aiment et ont aimé, et qui tôt seroient relevés contre vous si aucunes apparences ils véoient de sa délivrance. Aussi le roi de France dont fille il a, est de ces aventures moult courroucée ; et volontiers il y pourvoieroit s’il y trouvoit aucun moyen. Et sa puissance est grande, avecques les alliances qu’il pourroit avoir en Angleterre. »

Le roi Henry répondoit à ce et disoit : « Jusques à tant que je verrai le contraire et que ce roi de France, ou autres pour lui, voudront faire partie à l’encontre de moi, je ne muerai point mon propos, mais tiendrai ce que convenance lui ai. » C’étoit la réponse du roi, dont il lui fut près mésavenu, ainsi que je vous recorderai.

Le comte de Hostidonne, messire Jean de Hollande, frère au roi Richard, jà eut-il à femme la serour du roi Henry, ne pouvoit oublier celle aventure, et aussi ne faisoit le comte de Salsebéry. Et eurent vers Asquesuffort parlement secret ensemble, et regardèrent comment ils pourroient délivrer Richard de Bordeaux de la tour de Londres, et détruire et occire le roi Henry, et mettre un trouble en Angleterre. Et avisèrent qu’ils feroient crier unes joutes de vingt chevaliers dedans et de vingt écuyers, et se tiendroit la fête à Asquesuffort ; et couvertement ils en prieroient le roi Henry qu’il y voulsist venir ; et séant à table ils l’occîroient, car ils seroient si pourvus de gens de leur côté que ce ils pourroient bien faire. Et feroient vêtir et appareiller en habit royal un clerc qui s’appeloit Magdelain, qui avoit été de la chapelle au roi Richard et qui bien lui pourtroyoit de forme et de figure ; et feroient entendant au peuple que Richard seroit délivré et retourné en son état ; et manderoient leur fait au roi de France qui tantôt leur envoieroit, par les ports et hâvres de mer, grand confort par le comte de Saint-Pol et autres.

Tout ainsi comme ils le proposèrent il fut fait. Et firent de par vingt chevaliers et écuyers, bien accompagnés de dames et de damoiselles, annoncer une fête à être à Asquesuffort ; et avoient de leur accord et alliance le jeune comte Thomas de Kent, nepveu à messire Jean de Hollande ; et aussi un des grands barons d’Angleterre, le seigneur Despensier ; et cuidèrent avoir le comte Jean de Rostellant, pourtant que le roi Henry lui avoit ôté l’office de la connétablie, mais ils faillirent ; et veulent dire les aucuns que par lui le secret fut révélé.

Celle fête arrêtée et les pourvéances faites, le comte de Hostidonne vint à Windesore où le roi Henry étoit et tenoit son état ; et se humilia grandement envers lui, comme cil qui le vouloit par douces paroles décevoir et faire aller à celle fête ; et l’en pria moult affectueusement. Le roi, qui n’y pensoit que tout bien, lui accorda assez légèrement, dont le comte de Hostidonne fut moult réjoui ; et se départit du roi, et prit congé ; et encontra le chanoine de Robersart et lui dit : « Appareille-toi de venir à notre fête. Je te promets que si je te rencontre sur les rangs à la joute, je le te donnerai belle ou tu à moi. » Répondit messire Jean de Robersart : « Par ma foi ! sire, si le roi va à votre fête je ne fauldray pas que je n’y voise. » Et adonc le frappa le comte de Hostidonne en sa main et dit : « Grands mercis ! » et passa outre.

Plusieurs chevaliers et écuyers d’Angleterre, auxquels la connoissance de celle fête venoit, s’appareilloient et ordonnoient leurs harnois ; et en étoient armuriers en la cité de Londres moult ensoignés. Il fut dit au roi, de ceux qui à conseiller l’avoient et à garder. « Sire, à celle fête n’avez vous que faire ; ni point vous n’irez, car