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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Et partout où ils s’arrêtoient et venoient, tout | étoit payé et délivré de par le roi. Et chevauchèrent tant qu’ils vinrent à Eltem ; et là trouvèrent le roi Henry, et de son conseil assez pour raison. Le roi leur fit bonne chère, pour l’amour du roi de France auquel il se sentoit moult tenu. Messire Charles de la Breth remontra au roi ce pourquoi il étoit là envoyé et venu. Le roi répondit à ce et dit : « Vous vous trairez à Londres et je serai là dedans quatre jours, et aurai mon conseil ; et serez répondu de ce que vous demandez. » Il leur suffit assez ; et dînèrent ce jour avecques le roi ; et puis après dîner montèrent à cheval et chevauchèrent à Londres ; et avoient toujours le chevalier du roi qui les logea en Grigerche[1], tout au large et à leur aise. Et oncques ne les laissa, mais fut toudis en leur compagnie.

Le roi d’Angleterre vint à Londres, ainsi que dit avoit, et au palais de Wesmoustier. Les seigneurs de France furent signifiés de sa venue. Si s’ordonnèrent pour aller vers lui quand on les manda. Le roi avoit son conseil avecques lui ; et étoient avisés de ce que ils devoient répondre aux seigneurs de France. Et furent répondus, selon leur demande. Ils disoient qu’ils étoient venus en Angleterre et envoyés de par le roi de France et la roine pour voir leur fille la jeune roine d’Angleterre. Et leur fut dit : « Seigneurs, nous ne voulons pas véer que vous ne la voyez ; mais avant que ce soit, vous nous jurerez suffisamment que, de chose nulle qui avenue soit en Angleterre, de Richard de Bordeaux ni d’autre chose, vous ne parlerez ni ferez parler homme des vôtres ; et si vous faisiez le contraire, il est ainsi déterminé, vous courroucerez grandement le pays, et vous mettrez en péril de vos vies. » Les deux chevaliers répondirent, et dirent que point ils ne vouloient briser l’ordonnance qui faite étoit. Mais que ils l’eussent vue et parlé à elle, ils se contenteroient et mettroient au retour.

Depuis ne demoura guère de terme que le comte de Northonbrelande les mena à Havringhes-le-Bourg[2] devers la jeune roine d’Angleterre qui se tenoit pour l’heure. Et là étoient la duchesse d’Irlande, fille au seigneur de Coucy, et la duchesse de Glocestre, et ses filles de-lez elle, et aucunes dames d’Excesses et damoiselles qui lui tenoient compagnie. Le comte de Northonbrelande amena messire Charles de la Breth et le seigneur de Hangiers à Havringhes-le Bourg devers la roine d’Angleterre qui les recueillit doucement et bénignement, et parla assez à eux. Et demanda de son seigneur de père et de sa dame de mère comment ils le faisoient[3]. Ils répondirent : « Bien. » Et parlèrent à grand loisir ensemble ; et tinrent bien ce que promis avoient, car oncques ils n’ouvrirent leurs bouches du roi Richard.

Quand ils eurent fait ce pourquoi ils étoient venus, ils prirent congé à la roine et s’en retournèrent à Londres. Depuis ne demourèrent pas longuement ; et ordonnèrent leurs besognes ; et tous leurs coûtages étoient comptés et payés des officiers du roi ; et se départirent de Londres et vinrent à Eltem ; et dînèrent de-lez le roi qui leur fit donner et présenter beaux joyaux ; et prirent congé au roi assez amiablement ; et le roi leur donna pour l’amour de lui, car il se sentoit moult tenu au roi et à la roine de France ; et leur dit au département : « Dites à tous ceux qui ci vous envoient que la roine d’Angleterre n’aura jà mal ni encombrier, mais tiendra toujours son état grand et bien ordonné, ainsi comme à elle appartient. Et jouira de tous ses droits, car pas ne doit connoître et sentir les mutations aucunes, si elles y sont ou ont été. »

De ces paroles dites de la bouche du roi se contentèrent les deux chevaliers, et se départirent atant, et vinrent ce jour gésir à Dardeforde[4], et le lendemain à Espringhe[5], et puis à Saint-Thomas de Cantorbie, et de là vinrent a Douvres ; et là où ils vinssent et arrêtassent, les officiers du roi comptoient et payoient partout. Et montèrent en mer et vinrent à Boulogne, et puis exploitèrent tant qu’ils vinrent à Paris et trouvèrent le roi et la roine. Si leur recordèrent tout ce que vous avez ouï et comment ils avoient exploité. Si demourèrent les choses en cel état. Nous parlerons encore un petit d’Angleterre.

  1. Peut-être dans le quartier de Grace-Church.
  2. Havering at the Bower.
  3. Comment ils se portaient.
  4. Dartford.
  5. Ospringe.