Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1400]
365
LIVRE IV.

Collebruch et vinrent ce jour loger à Branforde à sept milles de Londres. Oncques Londriens ne se trairent vers eux ; mais se tinrent en leur ville. Quand ils virent ce, ils se trairent au matin vers Saint-Albans, une grosse ville et abbaye ; et là se logèrent et y furent un jour ; et le lendemain ils allèrent à Berquamestède[1]. Ainsi environnoient-ils le pays et faisoient entendre de ce Magdelain que c’étoit le roi Richard ; et vinrent à une grosse ville que on dit Soussestre[2], et là avoit un baillif de par le roi Henry, vaillant homme et prudent, qui gardoit la ville et le pays de là environ. Quand ces trois comtes et le sire Despensier furent venus à Soussestre, ils se logèrent et furent une nuit assez en paix, car le baillif n’étoit pas fort assez pour les combattre, et dissimula au mieux qu’il put.

Quand ce vint au matin, le comte de Salsebéry et le seigneur Despensier se départirent du comte de Hostidonne et du comte de Kent, et dirent qu’ils chevaucheroient outre pour acquerre encore moult d’hommes à leur opinion, et iroient voir le seigneur de Bercler, et chercheroient toute la rivière de la Saverne. Ils furent mal conseillés quand ils départirent l’un de l’autre, car ils en furent plus foibles.

Le comte de Hostidonne, qui étoit arrêté en la ville de Soussestre, voult traiter devers le baillif et ceux de la ville ; et leur dit que le roi Richard étoit délivré ; et l’avoient les Londriens délivré ; et que dedans deux jours il seroit là. Le baillif, qui avoit assemblé moult de ceux du pays, dit que tout le contraire étoit vérité et qu’il avoit ouï nouvelles certaines du roi Henry et des Londriens sur lesquelles il convenoit qu’il exploitât. Quand le comte de Hostidonne ouït ces paroles, si mua couleur et vit bien qu’il étoit déçu ; et s’en retourna à l’hôtel, et s’arma, et fit armer tout ce qu’il avoit là de gens ; et s’avisa que de fait et par bataille il conquerroit ces vilains, et feroit mettre la ville en feu et en flamme pour plus ébahir le pays. Le baillif de Soussestre d’autre part se hâta de pourvoir et fit venir toutes gens, archers et autres, en la place. Et se trouvèrent bien deux mille hommes ; et les comtes de Hostidonne et de Kent son nepveu n’en avoient point trois cents. Toutefois ils issirent hors de leur hôtel et s’ordonnèrent par devant pour commencer la bataille ; et commencèrent les archers à traire les uns aux autres, tant que du trait y en eut de blessés et de navrés. Le baillif et ses gens qui étoient grand nombre vinrent à force sur eux sans eux épargner, car ils avoient commandement du roi très espécial que morts ou vifs ils fussent pris. Si les envahirent de grand’volonté et de bonne emprise ; et convint les gens de Hostidonne par force retraire dedans leurs hôtels. Le baillif et ses gens environnèrent l’hôtel de toutes parts, là où les deux comtes étoient, et y livrèrent tels assauts que de force ils les conquirent et entrèrent dedans ; et là en y eut beaucoup de navrés et de morts. On entendit au comte de Hostidonne assaillir, car très bien se défendoit, comme vaillant homme d’armes qu’il étoit, mais la force fut sur lui si grande qu’il ne le put surmonter ; et fut là attéré et occis en armes[3], et avecques lui son neveu le jeune comte de Kent, qui depuis fut moult plaint de plusieurs vaillans chevaliers en Angleterre et ailleurs, car il étoit jeune et beau fils, et moult envis se mit en la compagnie. Mais son oncle et le comte de Salsebéry lui boutèrent.

Là présentement, les hommes de Soussestre qui étoient moult échauffés sur eux[4] leur tranchèrent les têtes, et puis les mirent en deux paniers, et les envoyèrent par un varlet et un cheval, ainsi qu’on porte marée, à Londres, pour réjouir le roi et les Londriens. Pareillement le comte de Salsebéry et le sire Despensier vinrent à celle conclusion, du lieu là où ils étoient allés, car les chevaliers et écuyers que le roi y envoya les prirent et leur tranchèrent les têtes et les envoyèrent à Londres. Encore pour ce fait, des alliés et accompagnés avecques eux en y eut moult de exécutés, chevaliers et écuyers ; et après tout ce demeura le pays assez en paix.

  1. Berkhamstead.
  2. Cirencester.
  3. Le comte de Huntingdon n’était pas allé à Cirencester ; il fut saisi dans les environs de Londres, où il attendait le succès de l’entreprise de son neveu, et fut décapité le 15 janvier 1400. Hugh Spencer, appelé aussi le comte de Glocester, fut décapité à Bristol. Suivant Hollinshed, il y en eut dix-neuf d’exécutés pour cette levée.
  4. Les habitans de Cirencester s’étaient déjà presque engagés à les épargner, lorsqu’un prêtre mit le feu à la ville pour favoriser la fuite des conspirateurs à l’aide du désordre. Les habitans furent si furieux qu’ils n’épargnèrent personne.