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BIOGRAPHIE

Cette même année 1386, il visita la Touraine et le Blaisois.

Vous savez comment le duc de Berry et son fils étoient vefves de leurs deux femmes. Ce sais-je tout sûrement ; car je, auteur et augmenteur de ce livre, pour ces jours (1386) j’étois sur les frontières de ce pays de Berry et de Poitou, en la comté de Blois, de lez mon très cher et honoré seigneur le comte de Blois, pour lequel ceste histoire est emprise, poursuivie et augmentée.

(T. ii, p. 688.)


Il se décide à aller rendre visite au comte de Foix.

En ce temps, je, sire Jean Froissart, qui me suis ensoigné et occupé de dicter et escripre celle histoire, à la requête et contemplation de haut prince et renommé, messire Guy de Chastillon, comte de Blois, seigneur d’Avesnes, de Beaumont, de Scoonhove et de la Gode, mon bon et souverain maître et seigneur, considérai en moi-même que nulle espérance n’estoit que aucuns faits d’armes se fissent ès parties de Picardie et de Flandres, puisque paix y estoit, et point ne voulois estre oiseux ; car je savois bien que, encore au temps à venir et quand je serai mort, sera celle haute et noble histoire en grand cours, et y prendront tous nobles et vaillans hommes plaisance et exemple de bien faire. Et entrementres que j’avois, Dieu merci ! sens, mémoire et bonne souvenance de toutes les choses passées, engin clair et aigu pour concevoir tous les faits dont je pourrois être informé, touchans à ma principale matière, âge, corps et membres pour souffrir paine[1], me avisai que je ne voulois mie séjourner de non poursuivre ma matière. Et pour savoir la vérité des lointaines besognes, sans ce que j’y envoyasse autre personne en aucune lieu de moi, pris voie et achoison raisonnable d’aller devers haut prince et redouté seigneur, messire Gaston, comte de Foix et de Béarn. Et bien savois que, si je pouvois venir en son hostel, et là être à loisir, je ne pourrois mieux cheoir au monde pour être informé de toutes nouvelles, car là sont et fréquentent volontiers tous chevaliers et écuyers étranges, pour la noblesse d’icelui haut prince.

Et tout ainsi comme je l’imaginai, il m’en advînt. Et remontrai ce, et le voyage que je volois faire, à mon très cher et redouté seigneur, monseigneur le comte de Blois, lequel me bailla ses lettres de familiarité adressans au comte de Foix.

(T. ii, p. 369)


1388. — Il fit à son départ pour le comté de Foix une pastourelle dans laquelle il annonce qu’il mène avec lui quatre chiens de chasse. La voici :

PASTOURELLE.

Entre Luniel et Montpellier
Moult près d’une grant abbéye
Vi pastourelles avant hier,
Seans en une préorie.
Je me mis en leur compagnie
Pour leur ordenance véoir,
Aussi pour nouvelles sçavoir.
Si entendi que Honnourée
Disoit à sa serour l’ainnée :
« Las, mon ami que j’aime tant,
Se part, de moi et ne sçai quant
Il retourra en ce pays,
Mès il prist congié en riant
Li beaus, li bons et li gentils

« Aultrement, Diex me puist aidier !
J’euisse esté trop courroucie ;
Mès au partir me vint baisier
Et me dist : Adieu, douce amie ! »
Et je li dis à cière lie :
« Adieu Robin, tant qu’au revoir. »
Il s’en va c’est pour mieuls valoir,
De ce sui toute assegurée ;
Mès je suis en coer trop troublée,
Car il emmainne tout juant
Tristan, Hector, Brun et Rollant,
Quatre levriers que j’ai nouris.
Faire en devra un présent grant.
Li beau li bons et li gentils. »

Lors respondi la fille Ogier :
« Or nous dittes, belle Sansie,
Quel part est il alès logier ?
Es ce or en Prouvence ou en Brie ?
En Auvergne ou en Picardie ?
Le-te a-il dit point au mouvoir ? »
— « Oïl, dist elle, j’ai espoir
Qu’il s’en va en une contrée
D’un prince de grant renommée,
Sage, large, noble et vaillant.
Nommer le vous voeil maintenant :
Gaston s’appelle en ses escris,
Fois et Berne tient, je m’en bant.
Li beaus, li bons et li gentils. »

« Gaston ! dit la fille Olivier,
Par le corps la Viergne Marie !

  1. Il avait alors cinquante et un ans.