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LIVRE II.

étoient les autres barons Gascons qui à Ymet avoient été pris, en l’ost du duc et en grand traité de eux tourner François. Mais messire Thomas Felleton n’en étoit mie requis, pourtant que il étoit Anglois ; et fut mis à finance de son maître messire Jean de Lignac à qui il paya trente mille francs ; et puis fut délivré ; mais ce ne fut mie sitôt[1].

Tant fut mené, traité et parlementé avec les quatre barons Gascons, que ils se tournèrent François ; et eurent en convenant au duc d’Anjou par leur foi et sur leurs honneurs que ils demeureroient bons François à toujours mais, eux et leurs terres. Parmi tant, le duc d’Anjou les délivra tous quittes. Si se départirent du duc et sur bon convenant le sire de Duras et le sire de Rosem, en l’intention que pour aller à leur pays ; et le sire de Mucident et le sire de Langurant demeurèrent en l’ost avecques le duc d’Anjou, qui les tenoit tout aises ; et souvent dînoient et soupoient en son logis avecques lui. Ces barons de Gascogne trouvèrent le duc d’Anjou moult amiable quand si légèrement il les laissa passer ; dont depuis il s’en repentit : vez-cy comment. Sur les champs se avisèrent le sire de Duras et le sire de Rosem, et parlementèrent ensemble en disant : « Comment pourrions-nous servir le duc d’Anjou et les François, quand nous avons toujours été loyaux Anglois ? Il nous vaut trop mieux à mentir notre serment envers le duc d’Anjou que devers le roi d’Angleterre notre naturel seigneur qui nous a tant de biens fait. » Ce propos ils tinrent, et s’ordonnèrent sur ce que ils iroient à Bordeaux, et remontreroient au sénéchal des Landes messire Guillaume Helman, et lui diroient que nullement leurs cœurs se peuvent bonnement rapporter à ce que ils deviennent François. Donc chevauchèrent ensemble ces deux barons, et exploitèrent tant que ils vinrent à Bordeaux : ils y furent reçus à grand’joie, car on ne savoit encore rien de leurs convenans. Le sénéchal des Landes et le mayeur de Bordeaux leur demandèrent des nouvelles et comment ils avoient finé. Ils répondirent que, par contrainte et sur menaces de mort, le duc d’Anjou les avoit fait devenir François : « Mais, seigneur, nous vous disons bien que, au faire le serment, toujours en nos cœurs nous avons réservé nos fois devers notre naturel seigneur le roi d’Angleterre ; ni pour chose que nous avons dit ni fait nous ne demeurerons jà François. » De ces paroles les chevaliers d’Angleterre furent adonc tous réjouis ; et dirent que ils s’acquittoient loyaument envers leur seigneur. Au chef de cinq jours après, le duc d’Anjou étant devant Chastillon, vinrent nouvelles en l’ost que le sire de Duras et le sire de Rosem étoient tournés Anglois. De ces nouvelles furent le duc d’Anjou, le connétable de France et les barons moult émerveillés. Adonc manda le duc d’Anjou devant lui le sire de Mucident et le seigneur de Langurant, et leur remontra ce de quoi il étoit informé, et demanda qu’ils en disoient. Ces Bretons qui tous courroucés étoient, répondirent : « Monseigneur, si ils veulent mentir leurs fois, nous ne voulons pas mentir les nôtres ; et ce que nous avons dit et juré, nous vous tiendrons loyaument, ni jà ne serons reprochés du contraire ; car par vaillance et beau fait d’armes vos gens nous ont conquis ; si demeurerons en votre obéissance. » — « Je vous en crois bien, dit le duc d’Anjou ; et je jure à Dieu tout premièrement et à monseigneur mon frère que, nous partis d’ici, nous n’entendrons jamais à aucune chose, si aurons mis le siége devant Duras et détruit toute la terre au seigneur de Duras ; et puis après celle de Rosem. » Ainsi demeura la chose en cel état, le duc d’Anjou courroucé pour la deffaulte qu’il avoit trouvée en ces deux barons de Gascogne et le siége devant Chastillon.


CHAPITRE IX.


Comment Chastillon sur Dourdogoe se rendit, et Sauveterre, Sainte-Bazile, Montségur et Auberoche.


La ville de Chastillon sur la Dourdogne étoit ville et héritage au captal de Buch, que le roi de France avoit tenu en prison à Paris. Le siége étant devant Chastillon, il y eschéy une très grand’famine, et à peine, pour or ni pour argent, on ne pouvoit recouvrer de vivres. Et convenoit les François sur le pays chevaucher douze ou quinze lieues pour avitailler l’ost, et encore alloient-ils et retournoient en grands périls ;

  1. On voit dans Rymer un acte du 30 août 1380, par lequel Richard II lui abandonne trente mille livres de la rançon qu’il pourra tirer de Guillaume Des Bordes, chevalier français, afin qu’il puisse se racheter lui-même moyennant cette somme.