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LIVRE II.

Quand ils eurent fait leur chevauchée, ils s’en retournèrent en l’ost. Ceux de Saint-Macaire connurent bien que ils ne se pouvoient longuement tenir que ils ne fussent pris ; et on leur promettoit tous les jours que si par force ils étoient pris, sans merci ils seroient tous morts : si se doutèrent de la fin, que elle ne leur fût trop cruelle ; et firent en secret traiter devers les François que volontiers ils se rendroient, sauve le leur et leurs biens. Les gens d’armes qui dedans Saint-Macaire étoient perçurent bien ce convenant ; si se doutèrent des hommes de la ville que ils ne fissent aucun mauvais traité contre eux. Si se trairent tantôt au châtel, qui est beau et fort et qui fait bien à tenir, et y boutèrent tout le leur, et encore assez du pillage de la ville. Adonc se rendirent ceux de Saint-Macaire et se mirent tous en l’obéissance du roi de France.

Nouvelles étoient venues au duc d’Anjou, très le siége étant devant Mont-Segur, que la duchesse sa femme étoit à Toulouse accouchée d’un moult beau fils[1]. Si devez savoir que le duc et tout l’ost en étoient tous lies, et les faits d’armes empris plus hardiment.

Sitôt que Saint-Macaire se fut rendu, on entra dedans la ville ; car là avoit beau logis et grand : si se aisèrent et rafreschirent toutes gens d’armes ; et bien trouvèrent de quoi, car la ville étoit bien pourvue. Si fut le châtel environné ; et mit-on engins devant qui ouniement jetoient pierres de faix ; et ce ébahit grandement ceux de la garnison.

Entrementes qu’on étoit là au siége, vinrent les vraies nouvelles du seigneur de Duras et du seigneur de Rosem, par deux hérauts qui les apportèrent, que ils étoient tournés Anglois. Dont dit le duc que, lui délivré de Saint-Macaire, il viendroit tout droit mettre le siége devant Duras. Et fit en cette instance fortement et fièrement assaillir ceux du châtel ; car il ne le vouloit mie laisser derrière. Ceux qui ens ou châtel étoient véoient que ils étoient assaillis de tous côtés et que nul confort ne leur apparoît, et bien savoient que le duc ni le connétable ne partiroient jamais de là si les auroient, ou bellement ou laidement : de quoi, tout considéré, ils se mirent en traité et rendirent le châtel, sauves leurs corps et leurs biens ; et furent avec tout ce conduits jusques à Bordeaux[2]. Ainsi fut Saint-Macaire, ville et châtel, François. Si en prit le duc d’Anjou la possession et saisine, et y établit capitaine et châtellain ; et puis se délogèrent toutes gens d’armes et prirent le chemin de Duras.


CHAPITRE XI.


Comment la ville de Duras fut assiégée et prise d’assaut par les François et le château après par composition.


Tant exploitèrent les osts du duc d’Anjou que ils vinrent devant Duras ; et quand ils durent approcher, il fut ordonné de tantôt assaillir[3], dont se mirent gens d’armes en ordonnance d’assauts et tous leurs arbalêtriers pavoisés[4] devant ; et ainsi approchèrent la ville. Et vous dis qu’il y avoit là aucuns varlets dessous les seigneurs, qui s’étoient pourvus d’échelles pour avoir mieux l’avantage de monter sur les murs. Et lors fut l’assaut grand et horrible ; et ceux qui montoient se combattoient main à main à ceux de dedans ; et dura cel assaut de pleine venue moult longuement. Si y eut là fait sur les échelles plusieurs grands appertises d’armes ; et se combattoient ceux de dehors à ceux de dedans main à main ; et dura l’assaut la plus grand’partie du jour ; et quand ils se furent bien battus et travaillés, par l’ordonnance des maréchaux on sonna les trompettes de retraite : si se retrait chacun en son logis.

Ce soir arrivèrent en l’ost messire Alain de la Houssoye et messire Alain de Saint-Pol, et une grand’route de Bretons, qui avoient chevauché vers Libourne et assailli une garnison d’Anglois qui s’appelle Cadilhac : si l’avoient pris à force et occis ceux qui dedans étoient. Quand ce vint au matin, le duc d’Anjou commanda que on allât à l’assaut, et que chacun se éprouvât sans faintise ; et fit-on à savoir par un cri et par un héraut que, le premier qui entreroit dedans Duras il gagneroit cinq cents francs. La convoi-

  1. La duchesse d’Anjou accoucha à Toulouse de Louis II d’Anjou, roi de Naples, le 7 (et non pas le 5) octobre 1377, lorsque son époux était occupé au siége de Monsegur.
  2. Le duc d’Anjou était au siége de Saint-Macaire le 2 septembre.
  3. Le duc d’Anjou était occupé du siége de Duras le 18 et le 27 octobre ; c’est par ce siége qu’il termina la campagne.
  4. Munis de leurs pavois.