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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/172

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

troit le royaume en son droit point. Si fit le roi un secret mandement de gens d’armes à être tous ensemble à un certain jour, lesquels tous y furent ; et se trouvèrent bien cinq cents lances et autant d’archers. Quand ils furent tous venus et assemblés, ainsi que devisé étoit, le roi se partit de Londres, atout ceux de son hostel seulement, et prit le chemin pour venir en la comté de Kent, de là où premièrement ces méchans gens étoient émus et venus. Ces gens d’armes dessus nommés poursuivoient le roi sur costière, et ne chevauchoient point avecques lui. Le roi entra en la comté, et vint en un village que on dit Espringhes[1], et fit appeler le maieur et tous les hommes de la ville. Quand il fut venu en une place, le roi leur fit dire et montrer par un homme de son conseil comment ils avoient erré à l’encontre de lui, et s’étoient mis en peine de tourner toute Angleterre en tribulation et en perte ; et pour ce que il savoit bien que il convenoit que celle chose eût été faite et commencée par aucuns et non mie par tous, donc mieux valoit que ceux qui ce avoient fait le comparassent que tous, il requéroit que on lui montrât les coupables, sur peine d’être à toujours mais en son indignation, et tenus et renommés traîtres envers lui. Quand ceux qui là étoient assemblés ouïrent celle requête, et véoient les non coupables que ils se pouvoient bien purger et excuser de ce forfait par enseigner les coupables, si regardèrent entre eux, et dirent : « Sire, vez-ci celui par qui fut celle ville de premier troublée et émue. » Tantôt cil fut pris et pendu ; et en y ot à Espringhes pendus sept. Et furent les lettres demandées que on leur avoit données et accordées. Elles furent là apportées et rendues aux gens du roi, lesquels, en la présence de tout le peuple, les descirèrent et jetèrent à val, et puis dirent ainsi : « Entre vous, gens qui êtes ci assemblés, nous vous commandons, de par le roi et sur la tête, que chacun s’en revoise en son hostel paisiblement, et ne se émeuve ni élève jamais contre le roi ni ses ministres : ce méfait ci, parmi la correction que on a prise, vous est pardonné. » Adonc disoient-ils tous d’une voix : « Dieu le puisse merir au roi et à son noble conseil ! »

En telle manière que le roi fit à Espringhes, fit-il à Saint-Thomas de Cantorbie et à Zandvich, à Geruelle, à Ornemine et ailleurs, par toutes les parties d’Angleterre où ses gens s’étoient rebellés et élevés ; et en furent décollés et pendus et mis à fin plus de quinze cens[2].

  1. Epping est dans le comté d’Essex et non dans le comté de Kent. Tous les noms de villes et villages anglais sont d’ailleurs tellement estropiés dans les divers manuscrits de Froissart, que les traducteurs et commentateurs anglais ont renoncé eux-mêmes à pouvoir les découvrir, et que toutes les fois que le chroniqueur ne cite pas un fait assez important pour avoir été consigné dans les historiens du pays, on ne peut faire que des conjectures plus ou moins heureuses. Outre Rymer, j’ai sous les yeux Knyghton, le moine d’Evesham, Hollinshed, Walsingham, Grafton, et plusieurs autres écrivains originaux qui racontent les mêmes faits, et souvent je ne puis sortir de l’embarras où me jettent les variétés infinies de son orthographe. C’est là le défaut général de la méthode orthographique qui fait écrire les noms propres comme ils se prononcent.
  2. Suivant Walsingham, dans quelques provinces on les pourchassa dans les bois comme des bêtes féroces, et on les tuait partout où on les rencontrait. Dans une autre partie du royaume, le juge Trésilian était plus expéditif que les bandes armées envoyées pour anéantir par le glaive tout ce qui paraissait vouloir réclamer l’exécution des lettes-patentes que le roi venait de concéder. Le nombre des habitans expédiés alors par les soldats et par les juges, qui rivalisaient à qui opérerait le plus promptement, est, d’après les témoignages contemporains les plus dignes de foi, beaucoup plus considérable que ne le représente Froissart. Le même Walsingham, qui était contemporain, a cherché à donner une idée de la cause de ces séditions, qui se manifestèrent presque en même temps sur tous les points de l’Angleterre. Il faudrait les attribuer, selon lui, en partie à la première effervescence produite par les prédications de J. Wickliffe, qui avait renouvelé les opinions professées par Berenger le scoliaste, au xie siècle (voyez Hist. litt. de France, t. VII, p. 197 et suiv.), sur l’Eucharistie. Jean Ball, un des chefs de cette sédition, soutenait en effet les mêmes opinions que J. Wickliffe sur l’Eucharistie et sur le Mariage, et portait sans doute l’esprit de réforme beaucoup plus loin, si l’on en juge d’après ce que Froissart et Walsingham rapportent de ses sermons. À ces causes de la sédition Walsingham en ajoute d’autres encore.

    « Alii, dit-il, peccatis dominorum ascribebant causam malorum, qui in Deum erant fictæ fidei ; nam quidam illorum credebant (ut asseritur) nullum Deum esse, nihil esse sacramentum altaris, nullam post mortem resurrectionem, sed ut jumentum moritur, ila et hominem finire. Erant præterea in subditos tyranni, et in pares diversi invicem suspecti, vivendo incesti, violatores conjugii, ecclesiæ destructores. Alii impulandum esse communis vulgi facinoribus dicebant esse quod accidit, quia in pace degentes, bonæ pacis abutebantur, dominorum facta rodentes, noctes insomnes in potationibus, ebrietatibus et perjuriis transigentes, vivebant in terra pacis sine pace, rixando, litigando, cum proximis contendendo, fraudes et falsitates jugiter meditando, libidini dediti, fornicationibus assueti, adulteriis maculati, unusquisque post uxorem proximi sut hinniebat ; et super hæc omnia, in fide