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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/224

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

seaux que il en étoit tout émerveillé. Et le connétable l’oyoit volontiers. Adonc venoient les varlets qui les poursuivoient, qui ramenoient leurs chevaux ; si montoient sus, et trouvoient un chemin bel et ample qui les ramenoit à Arras. Adonc s’éveilla le roi et eut grand’merveille de celle vision ; et trop bien lui souvenoit de tout ce, et le recorda à aucuns de sa chambre qui les plus prochains de lui étoient ; et tant lui plaisoit la figure de ce cerf que à peine en imaginations il n’en pouvoit issir ; et fut l’une des incidences premières, quand il descendit en Flandre à combattre les Flamands, pourquoi le plus il enchargea le cerf volant à porter en sa devise.

Nous nous souffrirons un petit à parler de lui, et parlerons de Philippe d’Artevelle qui se tenoit à siége devant la garnison et ville d’Audenarde.


CHAPITRE CLXV.


Comment les Flamands maintenoient leur siége devant Audenarde ; et comment Philippe d’Artevelle se contenoit avec les Anglois.


Philippe d’Artevelle, quoiqu’il lui fût bien avenu en son commencement de la bataille de Bruges, que il eût eu cette grâce et cette fortune de déconfire le comte et cils de Bruges, n’étoit mie bien subtil à faire guerre ni siéges, car de sa jeunesse il n’y avoit été point nourri, mais de pêcher à la verge aux poissons en la rivière de l’Escaut et du Lys : de cela faire avoit-il été grand coutumier ; et bien le montra, lui étant devant Audenarde. Car oncques ne sçut la ville asseoir ; et cuidoit bien, par grandeur et présomption qui étoit en lui, que cils d’Audenarde se dussent de fait venir rendre à lui. Mais ils n’en avoient nulle volonté, ainçois se portèrent comme très vaillans gens. Et faisoient souvent de belles issues, et venoient escarmoucher aux barrières à ces Flamands ; et en occioient et en meshaignoient, et puis se retrayoient en leur ville sans dommage ; et de ces appertises, issues et envaies, Lambert de Lambres et Tristan son frère, et le sire de Lieureghen en avoient grand’renommée. Les Flamands regardèrent que les fossés d’Audenarde étoient larges et remplis d’eau ; si ne les pouvoit-on approcher pour assaillir, fors à grand’peine. Si fut conseillé entre eux qu’ils assembleroient sur les fossés grand’foison de fagots et d’estrain pour remplir les fossés pour venir jusques aux murs et combattre à eux main à main. Ainsi comme il fut ordonné il fut fait ; on alla aux bois lointains et prochains et commença-t-on à fagoter à grand’plenté, et apporter et acarger sur les fossés, et là faire moies pour plus ébahir cils de la garnison. Mais les compagnons n’en faisoient compte, et disoient que si trahison ne couroit entre eux de cils de la ville, ils n’avoient garde de siége que ils vissent ni de leurs engins. Et pourtant messire Daniel de Hallewyn, qui capitaine en étoit, pour lui ôter de toutes ces doutes, étoit si au-dessus de cils de la ville, nuit et jour, que ils n’avoient puissance, ordonnance, ni regard nuls sur eux ; et n’osoit nul homme de la nation d’Audenarde, nuit ni jour, aller sur les murs de la ville sans compagnie des soudoyers étrangers ; autrement qui y fût trouvé il étoit de correction au point de perdre la tête.

Ainsi se tint là le siége tout le temps ; et étoient les Flamands moult au large de vivres en leur ost, qui leur venoient par terre, par mer et par rivières ; car ils étoient seigneurs de tout le pays de Flandre. Et avoient ouvert et appareillé les pays de Hollande, de Zélande, de Brabant et aussi une partie de Hainaut ; car toujours en larcin, pour la convoitise de gagner, leur menoient en leur ost assez de vivres. Ce Philippe d’Artevelle avoit le courage plus anglois que françois ; et eût volontiers vu que ils fussent ahers et alliés avecques le roi d’Angleterre et les Anglois ; parquoi si le roi de France ni le duc de Bourgogne venoient sur eux à main armée pour recouvrer le pays, ils en fussent aidés. Et jà avoit Philippe d’Artevelle en son ost deux cents archers d’Angleterre, lesquels s’étoient emblés de leurs garnisons de Calais, et là venus pour gagner ; desquels archers ils avoient grand’joie ; et étoient cils payés toutes les semaines.


CHAPITRE CLXVI.


Comment Philippe d’Artevelle, étant à siége devant Audenarde, rescripvit au roi de France ; et comment lui et son conseil conclurent d’envoyer en Angleterre pour traiter d’alliances et autrement.


Philippe d’Artevelle, pour colorer son fait et pour savoir quelle chose on disoit et diroit de lui en France, se avisa que il escriproit et feroit escripre le pays de Flandre au roi de France, en eux humiliant et priant que le roi se voulsist en-