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LIVRE II.

maréchaux, que nul n’assaillit. Quand ce cri fut répandu parmi l’ost, tous se cessèrent. Adonc se imaginèrent aucuns seigneurs que les Anglois se partiroient par aucuns traités, puisque on avoit défendu de non assaillir. Quand ce vint après dîner, ceux issirent de Bourbourch qui traiter : devoient messire Guillaume Helmen, messire Thomas Trivet, messire Nicole Draiton, messire Matieu Rademen, et tant que ils furent jusques au nombre de quatorze chevaliers et écuyers ; et les amenèrent en la tente du roi, le duc de Bretagne, le connétable de France et le comte de Saint-Pol. Le roi les vit moult volontiers ; car encore avoit-il vu peu d’Anglois, fors messire Pierre de Courtenay, qui avoit été à Paris pour faire fait d’armes à messire Guy de la Trémoille, mais le roi et son conseil les accordèrent, et ne se combattirent point l’un à l’autre. Et pourtant que ces Anglois ont eu du temps passé grand’renommée d’être preux et vaillans aux armes, le jeune roi de France les véoit plus volontiers ; et en valurent trop grandement mieux leurs traités.

Là traitèrent ce lundi en la tente du roi ; et là étoient avecques le roi : le duc de Berry, le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, le duc de Bretagne, le comte de Flandre et le connétable de France tant seulement. Et vous dis que à ces traités le duc de Bretagne fut très grandement pour eux. Et se portèrent les traités que ils se départiroient de Bourbourch et lairoient la ville, et iroient à Gravelines et emporteroient le leur, tout ce que porter en pourroient[1].

De ce traité furent plusieurs Bretons, François, Normands, Bourguignons, courroucés qui cuidoient partir à leurs biens ; mais non firent, car le roi et son conseil le vouldrent ainsi. Après ces traités, ils prirent congé au roi et à ses oncles, au duc de Bretagne, au comte de Flandre et au connétable ; et puis les prit le comte de Saint-Pol et les emmena souper en sa tente, et leur fit toute la meilleure compagnie que il put par raison faire ; et, après souper, il les reconvoya et fit reconvoyer jusques dedans les portes de Bourbourch, dont ils lui sçurent moult grand gré.

Le mardi tout le jour ordonnèrent-ils leurs besognes ; et entendirent à leurs chevaux faire referrer et à emplir leurs malles de tout bon et de tout bel dont ils avoient grand’foison. Le mercredi au matin ils troussèrent et chargèrent, et se mirent au chemin, et passèrent sur le sauf conduit du roi tout parmi l’ost. Trop étoient les Bretons courroucés de ce que ils partoient si pleins et si garnis ; et vous dis que à aucuns qui demeurèrent derrière on faisoit des torts assez. Ainsi se départirent les Anglois ce jour et vinrent à Gravelines. Là s’arrêtèrent, et le jeudi au matin ils s’en partirent ; mais à leur département ils boutèrent le feu dedans et l’ardirent toute ; et vinrent à Calais atout leur grand pillage ; et là s’arrêtèrent en attendant le vent, pour avoir passage et retourner en Angleterre.

Le jeudi au matin entra le roi de France en Bourbourch, et aussi firent tous les seigneurs et leurs gens. Si commencèrent les Bretons à parpiller la ville, ni rien ne laissèrent. En la ville de Bourbourch a une église de Saint-Jean, en laquelle église un pillard entre les autres entra, et monta sur un autel, et voult à force ôter une pierre qui étoit en la couronne d’une image faite en semblance de Notre Dame[2], mais l’image se tourna ; si fut chose toute vraie ; et le pillard renversa là devant l’autel, qui mourut là de male-mort ; ce miracle virent moult de gens. De rechef un pillard autre vint, qui voult faire à celle image la chose pareille ; mais toutes les cloches commencèrent toutes à une fois à sonner en l’église, sans ce que nul y mît la main ; ni on ne les y pouvoit mettre, car les cordes étoient retaillées et sachées amont[3]. Pour ces deux miracles fut l’église moult fort visitée de tout le peuple ; et donna le roi à l’église et à l’image de Notre Dame un grand don, et aussi firent tous les seigneurs ; et y ot bien de dons ce jour pour trois mille francs. Le vendredi on se commença à déloger et à départir ; et donnèrent le roi et les connétables et les maréchaux à toute manière de gens congé. Si remercia le roi les lointains, par espécial le duc Frédéric de Bavière, pour tant que il l’étoit venu servir de lointain pays ; et aussi fit-il le comte de Savoie. Si se retrait

  1. Suivant Hollinshed, Bourbourg fut rendu le samedi 19 septembre 1383 aux Français.
  2. Le moine anonyme de Saint-Denis ne manque pas, comme on peut bien le croire, de rapporter le même miracle. Seulement au lieu de Notre-Dame c’est selon lui le patron, saint Jean-Baptiste, qui fit ce miracle si utile depuis à son église, recommandée par là à la générosité des fidèles.
  3. Tirées en haut.