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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/298

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[1383]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

la mer jusques à la rivière de Garonne, tant en Normandie comme en Bretagne, en Poitou, en Xaintonges et en Rochellois ; laquelle chose ni traité les Anglois n’eussent jamais fait, et par espécial rendu Guines, ni Calais, ni Chierbourch, ni Brest en Bretagne. Si furent-ils sur ces traités plus de trois semaines ; et presque tous les jours ils parlementoient ou leurs consaulx ensemble.

En ce temps trépassa de ce siècle, en la duché et en la ville de Luxembourc, le gentil duc Wincelant de Bouesme, duc de Luxemburc et de Brabant[1], qui fut en son temps noble, joli, frisque, sage, armeret et amoureux. Et quand il issit de ce siècle on disoit adoncques que le plus haut prince et le mieux enlignagé de haut lignage et de noble sang et qui plus avoit de prochains étoit mort ; Dieu en ait l’âme ! Et git en l’abbaye de Vaulclerc de-lez Luxembourc. Et demeura la duchesse, madame Jeanne de Brabant, vefve, et oncques depuis ne se remaria, ni n’en ot volonté. De la mort du noble duc furent courroucés tous ceux qui l’aimoient.

Or revenons aux traités et aux parlemens qui étoient mis et assis entre les seigneurs de France et ceux d’Angleterre, entre Calais et Boulogne en-mi chemin, au village dessus nommé, lesquels parlemens et traités ne purent venir à nul effet de paix ni de profit pour l’une partie ni pour l’autre. Et veulent les aucuns dire que le comte de Flandre y avoit grand’coulpe ; car nullement il ne voult oncques consentir que ceux de la ville de Gand fussent appelés ens ès traités, et par le pourchas et instigation de ceux de Bruges ; dont les Anglois étoient courroucés. Et ne s’en portoient point si bien ni si bel les traités ; car ils avoient grandes convenances et alliances les uns avecques les autres ; et ne pouvoient faire paix ni donner trève ni répits les Anglois et les François, que les Gantois ne fussent enclos dedans ; ainsi l’avoient-ils promis et juré ensemble en la ville de Calais ; et cette convenance et alliance rompit et brisa par plusieurs fois les traités. Finablement on ne put trouver entre ces parties nulle belle paix, ce sembloit-il à l’un et à l’autre ; dont fut regardé et parlementé à prendre une trève ; et sur cel état et traité persévérèrent les parlemens. Et eût volontiers vu le comte de Flandre que ceux de Gand fussent demeurés en la guerre et mis hors des traités ; mais nullement les Anglois ne s’y vouloient assentir ; et convint la trève donner et accorder que Gand demeurât et fût close et annexée dedans. Et demeuroit chacun en sa teneur, sans muer ni rendre forteresse l’un à l’autre. Et étoient Audenarde et Gavre gantoises.

Et quoique on parlementât ainsi sur la frontière de Calais et de Boulogne vinrent ardoir les Gantois, c’est à entendre ceux de la garnison d’Audenarde, Maire et les faubourgs de Tournay ; et s’en retournèrent sauvement atout grand pillage en Audenarde. Et vinrent par les fêtes de Noël les Gantois recueillir et lever les rentes et revenues du seigneur d’Escornay en sa propre ville ; dont il fut moult merencolieux. Et dit et jura, si Dieu lui pût aider, quel traité ni accord qui pût être ni avoir entre le pays de Flandre et les Gantois, il n’en tenroit jà nul, mais leur feroit toujours la pire guerre qu’il pourroit ; car ils lui tolloient et avoient tollu tout son héritage, ni il ne savoit de quoi vivre, si ses amis de Hainaut et de Brabant ne lui aidoient ; tant l’avoient-ils près mené de son héritage.

Les traités et parlemens qui furent en celle saison à Lolinghen entre les seigneurs et princes dessus nommés de France et d’Angleterre furent conclus, à grand meschef, que unes trèves seroient entre le royaume de France et le royaume d’Angleterre et tous leurs ahers et alliés ; c’est à entendre de la partie de France, toute Espaigne, Gallice et Castille étoient enclos dedans par mer et par terre, et aussi le royaume d’Escosse ; et devoient les François signifier au plus tôt qu’ils pourroient celle trève au roi et aux barons et prélats du royaume d’Escosse ; et devoient les ambaxadeurs, qui ce message de par le roi de France feroient en Escosse, avoir sauf conduit allant et retournant parmi le royaume d’Angleterre. Et aussi de la partie des Anglois étoient compris entre la trève tous leurs adhers et alliés, en quelque lieu ni pays que ils fussent ; et étoient ceux de Grand et toutes leurs teneurs expressément nommés et enclavés dedans ; dont grandement déplaisoit au comte de Flandre. Et duroient ces trèves tant seulement jusques à la Saint-Michel que on compteroit l’an de grâce mil trois cent quatre vingt et quatre[2]. Et de-

  1. Suivant l’Art de vérifier les dates, il mourut le 7 décembre 1383.
  2. Cette trève, d’après l’acte authentique rapporté par Rymer, devait durer depuis le 26 janvier 1383, ancien