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LIVRE II.

ville de pourvéances et de toutes choses nécessaires à guerre appartenans, et aussi le chastel de Gavre et tout ce qui se tenoit pour eux. En ce temps avoit une manière de gens routiers ens ès bois de la Raspaille, que on appeloit les pourcelets de la Raspaille ; et avoient en ce bois de la Raspaille fortifié une maison, tellement que on ne les pouvoit prendre ni avoir. Et étoient gens échassés de Grantmont et d’Alost et d’autres terres de Flandre, lesquels avoient tout perdu le leur, et ne savoient de quoi vivre si ils ne le pilloient et roboient partout où ils le pouvoient prendre ; et ne parloit-on alors fors des pourcelets de la Raspaille. Et siéd ce bois entre Renay et Grantmont, Enghien et Lessines ; et faisoient moult de maux en la chastellenie d’Ath et en la terre de Floberghes et de Lessines et en la terre d’Enghien. Et étoient iceux avoués de ceux de Gand ; car sous ombre d’eux ils faisoient moult de murdres, de larcins, de roberies et de pillages, et venoient en Hainaut prendre et querre les hommes en leurs lits, et les emmenoient en leurs forts de la Raspaille, et là les rançonnoient ; et avoient guerre contre tout homme puisqu’ils le trouvoient en leur avantage. Le chastelain d’Ath qui étoit pour le temps sire Beaudoin de la Mote, fit par plusieurs fois des aguets sur eux ; mais il ne les pouvoit avoir ni attraper ; car ils savoient trop de refuges. Et les ressoignoit-on tant en la frontière de Hainaut et de Brabant que nul n’osoit aller ce chemin ni ens ou pays.

Le duc de Bourgogne d’autre part avoit garni et repourvu parmi Flandre, pour la guerre que il attendoit à avoir, ses villes et ses chastels ; et étoit capitaine de Bruges le sire de Ghistelle, et de l’Escluse, messire Guillaume de Namur ; car pour ce temps il en étoit sire ; et du Dam, messire Guy de Ghistelle, et de Courtray messire Jean de Jumont, et de Yppre messire Pierre de la Nièpe ; et ainsi par toutes les villes et forteresses de Flandre y avoit gens d’armes de par le duc de Bourgogne,

En la ville d’Ardembourch pareillement se tenoient en garnison messire Guy de Pontarlier, maréchal de Bourgogne, et messire Rifflard de Flandre, messire Jean de Jumont, messire Henry d’Antoing, le sire de Montigny ; en Ostrevant, le sire de Longueval, messire Jean de Berlette, messire Pierre de Bailleul et Belle-Fourière, Philippot de Grancy, Raulin de la Folie et plusieurs autres. Et étoient bien ces gens d’armes deux cens combattans. Si se avisèrent l’un pour l’autre, et se mirent en volonté de chevaucher ens ès Quatre-Métiers et détruire celui pays ; car moult de douceurs en venoient à ceux de Gand. Si se partirent un jour tout armés et apprêtés pour faire leur emprise, et chevauchèrent celle part pour bien besogner.

Ce propre jour que les François chevauchoient, environ deux mille hommes de Gand étoient issus hors, tous apperts compagnons, desquels François Acreman étoit conduiseur et capitaine ; et se trouvèrent d’aventure ces gens d’armes de France et ces Gantois en un village. Quand ils sçurent l’un de l’autre, il convint que il y eût bataille. Là mirent les François pied à terre vaillamment et empoignèrent leurs glaives ; et approchèrent leurs ennemis ; et les Gantois eux, qui étoient grand’foison. Là commencèrent-ils à traire et à lancer l’un contre l’aatre ; et étoient sus un pas où les Gantois ne pouvoient passer à leur avantage. Là ot dure rencontre, et faites maintes grands appertises d’armes, et rués jus des uns et des autres ; et là fut messire Rifflard de Flandre très bon chevalier, et y fit plusieurs grands prouesses et de belles appertises. Et se combattoient très vaillamment chevaliers et écuyers à ces Gantois, et faire leur convenoit ; car là n’avoit nulle rançon. Finablement les Gantois étoient si grand’foison que ils obtinrent la place ; et convint les François partir et monter à cheval ; autrement ils eussent été tous perdus ; car les Gantois les efforcèrent. Et y furent morts messire Jean de Berlette, messire Jean de Bailleul et Belle-Fourière, Philippot de Grancy et Raulin de la Folie et plusieurs autres, dont ce fut dommage ; et convint le demeurant fuir et rentrer en Ardembourch, autrement ils eussent été tous morts et perdus sans recouvrer. Depuis celle aventure fut envoyé le vicomte de Meaux en garnison en Ardembourch à toute sa charge de gens d’armes : si aida à remparer et fortifier la ville de Ardembourch ; et se tenoient avecques lui plusieurs chevaliers et écuyers, lesquels étoient bien cent lances de bonnes gens d’armes. Et pour ce temps étoit messire Jean de Jumont grand baillif de Flandre, et avoit été bien deux ans en devant, lequel étoit moult cremu et ressoigné par toute Flandre, pour les prouesses et appertises que il faisoit ; et quand il pouvoit