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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/366

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

sceult ; puis se party, et s’en ala à l’adventure. Il fut rencontré par pluiseurs fois, et quant on l’appeloit il respondoit le cry de la nuyt.

Ainsi se passa la nuyt ; lendemain il prist le chemin de Hesdin, où le conte de Flandres se tenoit adonc, car on povoit bien aler, venir et retourner paisiblement, puisque on savoit que ce ne fussent ennemis. Tant esploitta le dit varlet que il vint à Hesdin, où il trouva le conte, et luy délivra ses lettres et le briefvet. Le conte fist lire les lettres et puis le briefvet. Quant il eult tout bien entendu de leur estat et de ce que ses bourgois d’Audenarde voulloient faire, si en fu grandement resjoys ; car il n’y véoit que bien et raison. Messire Josse de Halwin, frère à messire Daniel, capitaine de Audenarde, estoit pour le présent d’encoste le conte. Si lui dict le conte : « Josse, je veuil que vous allez jusques à Vallenchiennes, à six mille francs que je vous délivreray ; et en faictes et usez ainsi que le briefvet contient. »

— « Monseigneur, respondy messire Josse, je le feray voullentiers à vostre commandement et voulloir. »

Le conte de Flandres fist que messire Josse eult les six mille francs ; se départy du conte de Flandres son seigneur, et le varlet avec lui qui avoit apporté les lettres au conte, et s’en vindrent à Vallenchiennes. Messire Josse de Halwin, venu à son hostel à Valenchiennes, à la Teste-d’Or, en la place que on dict au chastel Saint-Jean, enquist comment on lui ensaingneroit le chambge Pierron Rasoir. Quand il le sceult, il se traist là, lui monstrant ce briefvet que les taverniers d’Audenarde lui envoyoient, et qu’il receust à lui ce que le briefvet contenoit ; et l’escripsist sur eulx à debvoir, en lui livrant pour chascun homme un briefvet de sa quantité, escript de sa main, ou de la main Hanin Rasoir son nepveul. Ainsi que charget lui estoit et que son briefvet contenoit, il fu fait rechupt, et ordonné par la manière dessus dicte, et les briefvets escripts pour chascun à sa quantité, de la main du dit Hanin, car le dit Pierron estoit deshaittié de gravele, ainsi comme il avoit souvent de coustume. Tout ce fait, messire Josse délivra les briefvets et une lettre de l’estat et intention du conte, adrechant à messire Daniel de Halwin, capitaine d’Audenarde, son frère, au varlet qui avoit apporté les aultres, qui là estoit venus avec luy. Puis se départirent l’un de l’autre. Messire Josse revint vers le conte, et lui recorda comment il avoit esploittiet et besoingniet, lequel souffist très bien au conte ; et dict que il avoit très bien fait son ouvrage et besoingniet.

Le varlet prit son chemin à l’adventure de Dieu, ainsi que pour revenir et entrer dedans Audenarde. Et se party de Valenchiennes ; et esploitta tant que il vint en l’ost par jour, car on n’y demandoit riens à nully. Quand ce vint au nuyt, il fist tant que il sceult le cry de la nuyt, et espia son cop que le quart estoit acquoisiés, et s’en vint bellement et coyement que nuls ne s’en perchut. Et s’il estoit percheu, il disoit le cry de la nuyt, et on le laissoit passer oultre. Tant fist que il vint sur la croste des fossés leur (là où) aultrefois ilavoit passé. Si logea sa lettre et ses briefvets sur sa teste au plus hault en la custode, ainsi que fait avoit au passer, et puis resailly ens ès fossés, et nagea outre.

Quant il fu à l’autre rive, il hucha aux gardes des cresteaux que on le laissast ens. Il fu oys et recongneus ; si fu laissiés ens à grand’joye. Et s’en vint vers messire Daniel de Halwin, le capitaine, et lui délivra la lettre du conte de Flandres et les briefvets des bons marchans taverniers que Pierron Rasoir leur envoyoit ; et lisi ses lettres et les briefvets, et puis dict en audience l’estat du conte et son intention que il proposoit à faire, dont ils furent tous grandement resjoys ; et manda aux marchans que ils venissent à luy atout l’argent, et il délivreroit à chascun en droit lui ung briefvet de sa quantité de Pierron Rasoir, chambgeur de Valenchiennes, comme ils l’avoient requis. Ils vindrent et payèrent et pristrent chascun leur briefvet, et en furent moult lies et joyeux. Aussi fu le capitaine et les sauldoyers. Et fut l’argent départi aux sauldoyers, à chascun selon son estat. Si en payèrent leur (là où) ils debvoient, et gardèrent le surplus pour le temps advenir.

On suppose que oncques argent ne vint mieulx à point pour le conte, pour le capitaine, pour les souldoyers et pour ceux de la ville, car ils demeurèrent tous en unyon et d’accort, et tous bien asouffis, que se le contraire fust advenu, qui povoit aussi bien venir par disette, par les sauldoyers que par ceulx de la ville.