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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/391

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LIVRE III.

toujours a été en débat entre le comte de Foix et le comte d’Ermignac, et pour ce n’en faisoient compte les seigneurs quand le duc d’Anjou vint en ce pays.

« Quand messire Garsis du Chastel fut venu devant le fort de Trigalet, il le fit environner d’une part, car au lez devers la rivière on ne le peut approcher ; et là eut grand assaut dur et fort, et maint homme blessé dedans et dehors du trait ; et y fut messire Garsis cinq jours, et tous les jours y avoit assauts et escarmouches, et tant que cils dedans, l’artillerie que ils avoient alouèrent si nettement que ils n’avoient mais rien que traire, et bien s’en aperçurent les François. Adonc par droite gentillesse fit messire Garsis venir parler à lui sur bon sauf conduit le capitaine, et quand il le vit il lui dit : « Bascot, je sais bien en quel parti vous êtes : vous n’avez point d’artillerie ni chose pour vous défendre à l’assaut, fors que de lances : si sachez que, si vous êtes pris de force, je ne vous pourrai sauver, ni vos compagnons, que vous ne soyez morts des communes de ce pays, laquelle chose je ne verrois pas volontiers ; car encore êtes-vous mon cousin. Si vous conseille que vous rendez le fort, entremente, qu’on vous en prie. Vous ne pouvez jamais avoir blâme du laisser, et aller d’autre part querre votre mieux. Vous avez assez tenu celle frontière. » — « Monseigneur, répondit l’écuyer, je oserois bien ailleurs que ci, hors de parti d’armes, faire ce que vous me conseilleriez, car voirement suis-je votre cousin, mais je ne puis pas rendre le fort tout seul, car autel part y ont cils qui sont dedans comme je ai, quoique ils me tiennent à souverain et à capitaine ; et je me retrairai là dedans et leur démontrerai ce que vous me dites. Si ils sont d’accord de le rendre, je ne le débattrai jà ; et si ils sont d’accord du tenir, quel fin que j’en doive prendre, j’en attendrai l’aventure avecques eux. » — « C’est bien, répondit messire Garsis, vous vous en pouvez partir quand vous voudrez, puisque je sais votre entente. »

« Atant s’en retourna le Bascot de Mauléon au chastel de Trigalet ; et quand il fut là venu, il fit venir tous les compagnons en-mi la cour, et là leur démontra les paroles telles que messire Garsis lui avoit dites, et sur ce il leur en demanda leur avis et conseil, et quelle chose en étoit bonne à faire. Ils se conseillèrent longuement. Les aucuns vouloient attendre l’aventure et disoient que ils étoient forts assez, et li autres se vouloient partir et disoient que il étoit heure, car ils n’avoient point d’artillerie et sentoient le duc d’Anjou cruel, et les communes de Toulouse et de Carcassonne et des villes là environ courroucés sur eux pour les grands dommages que ils leur avoient faits et portés. Tout considéré, ils s’accordèrent à ce que ils rendroient le fort, mais qu’ils fussent conduits sauvement, eux et le leur, jusques au chastel Tuillier, que leurs compagnons tenoient en la frontière Toulousaine.

« Sur cel état retourna en l’ost le Bascot parler à messire Garsis, lequel leur accorda tout ce qu’ils demandoient ; car il véoit et considéroit que le chastel n’étoit pas par assaut léger à conquerre, et que trop leur pourroit coûter de gens. Adonc s’ordonnèrent-ils pour eux partir, et troussèrent tout ce que trousser purent. Du pillage avoient-ils assez ; ils emportèrent le meilleur et le plus bel, et le demeurant ils laissèrent. Si les fit messire Garsis du chastel mener et conduire sans péril jusques au chastel Tuillier.

« Ainsi eurent les François en ce temps le chastel de Trigalet. Si le donna messire Garsis aux communes du pays qui en sa compagnie étoient, lesquels en ordonnèrent tantôt à leur plaisance ; ce fut que ils l’abattirent et désemparèrent en la manière que vous avez vue ; car il fut tellement abattu que oncques depuis nul ne mit entente au refaire. Et de là messire Garsis s’en voult venir au chastel Nentilleux, qui siéd sur ces landes assez près de Lamesen, pour le délivrer des compagnons qui le tenoient ; mais sur le chemin on lui vint dire : « Monseigneur, vous n’avez que faire plus avant, car vous ne trouverez nullui au chastel Nentilleux. Ceux qui le tenoient s’en sont partis et fuis les uns çà et les autres là, nous ne savons quelle part. » Donc s’arrêta messire Garsis du Chastel sur les champs, et s’avisa que en étoit bon à faire. Là étoit le sénéchal de Nebosen, et dit : « Sire, cil château est en ma sénéchaussée, et doit être tenu du comte de Foix ; si vous prie, baillez-le-moi et je le ferai bien garder à mes coustages et dépens, ni jamais homme qui vueille mal au pays n’y entrera. » — « Sire, dirent ceux de Toulouse qui là étoient, il vous parole bien ; le sénéchal est vaillant homme et prud’homme ; il vaut mieux que il l’ait que un