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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/562

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

y avoit assez, plus de quinze cens. Ainsi fut la ville de Ribedave gagnée à force ; et y eurent ceux qui y entrèrent grand pillage ; et par espécial ils trouvèrent plus d’or et d’argent en la maison des Juifs que autre part.

Après la prise et conquêt de Ribedave, qui fut prise par bel assaut, et que les Anglois l’eurent toute fustée, et que ils en furent seigneurs, on demanda au maréchal quelle chose on en vouloit faire et si l’on bouteroit le feu par dedans. « Nennil, répondit le maréchal ; nous la tiendrons et garderons, et la ferons rappareiller aussi longuement et bien que nulle autre ville de Galice. »

Ainsi fut la ville déportée de non être arse ; et fut regardé où on se trairoit. Il fut regardé que on se trairoit devant Maurens, une bonne ville aussi en Galice, et puis furent ceux ordonnés qui demeureroient pour la garder et réparer. Et y fut laissé messire Pierre de Cligneton, un moult appert chevalier, atout vingt lances et soixante archers. Si firent les seigneurs charger grand’foison de pourvéances de la ville de Ribedave à leur département, car ils y en trouvèrent assez, et espécialement de porcs salés et de bons vins qui étoient si forts et si ardens que ces Anglois n’en pouvoient boire ; et quand ils en buvoient trop largement, ils ne s’en pouvoient aider bien deux jours après.

Or se délogèrent-ils de Ribedave et cheminèrent vers la ville de Maurens en Galice, et faisoient mener tout par membres le grand engin que ils avoient fait charpenter avec eux ; car ils véoient bien que c’étoit un grand chastioir et épouvantement de gens et de villes.

Quand ceux de Maurens entendirent que les Anglois venoient vers eux pour avoir leur ville en obéissance, et que Ribedave avoit été prise par force, et les gens de dedans morts, et faisoient les Anglois mener après eux un diable d’engin si grand et si merveilleux que on ne le pouvoit détruire, si se doutèrent grandement de l’ost et de ce grand engin ; et se trayrent en conseil pour savoir comment ils se maintiendroient : si ils se rendroient, ou si ils se défendroient. Eux conseillés, ils ne pouvoient voir que le rendre ne leur vaulsist trop mieux assez que le défendre ; car si ils étoient pris par force, ils perdroient corps et avoir, et au défendre il ne leur apparoît confort de nul côté. « Regardez, disoient les sages, comment il leur en est pris de leurs défenses à ceux de Ribedave, qui étoient bien aussi forts ou plus que nous ne soyons ; ils ont eu le siége près d’un mois et si ne les à nul confortés ni secourus. Le roi de Castille, à ce que nous entendons, compte pour celle raison tout le pays de Galice pour perdu jusques à la rivière de Doure. Vous n’y verrez de celle année entrer François. Si que rendons-nous débonnairement sans dommage et sans riotte, en la forme et en la manière que les autres villes qui se sont rendues ont fait. » — « C’est bon, » dirent-ils. Tous furent de celle opinion. « Et comment ferons-nous ? » dirent aucuns. « En nom Dieu, dirent les sages, nous irons sur le chemin à l’encontre d’eux et porterons les clefs de la ville avecques nous, et leur présenterons, car Anglois sont courtoises gens. Ils ne nous feront nul mal, mais nous recueilleront doucement et nous en sauront très grand gré. »

À ce propos se sont tous tenus. Donc issirent hors cinquante hommes de la ville dessus dite, tous des plus notables de la ville. Sitôt que ils sçurent que les Anglois approchoient, ils postèrent ceux de la ville dessus nommée en leur compagnie, et se mirent sur le chemin entre la ville et les Anglois. Et là, ainsi comme au quart de une lieue, ils attendirent les Anglois qui moult fort les approchoient.

Nouvelles vinrent aux Anglois que ceux de la ville de Maurens étoient issus hors, non pour combattre, mais pour eux rendre ; et portoient les clefs des portes avec eux. Adonc s’avancèrent les seigneurs ; et chevauchèrent tout devant pour voir et savoir que ce vouloit être ; et firent toutes gens, archers et autres, demeurer en bataille derrière, et puis vinrent à ces Galiciens qui les attendoient. Il leur fut dit : « Véez-ci les trois principaux seigneurs d’Angleterre envoyés de par le duc de Lancastre pour conquérir le pays ; parlez à eux. » Adonc se mirent-ils tous à genoux et dirent : « Chers seigneurs, nous sommes des povres gens de Maurens qui voulons venir à l’obéissance du duc de Lancastre et de madame la duchesse, notre dame, sa femme : si vous parlons et prions que vous nous veuilliez recueillir à mercy, car ce que nous avons est vôtre. » Les trois seigneurs d’Angleterre répondirent tantôt, par l’avis l’un de l’autre : « Bonnes gens, nous irons avecques vous en la ville, et