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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/597

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LIVRE III.

pour eux savoir chevir et dissimuler. Mais toute fois le conseil du roi, quoique fût du duc de Guerles, ne se vouloit point passer que le connétable de France, qui si loyaument avoit servi le roi et le royaume, en Flandre et ailleurs, ne fut adressé des duretés que le duc de Bretagne lui avoit faites, rançonné son corps, pris ses châteaux sans nul titre de raison ; et par espécial le sire de Coucy et l’amiral de France y rendoient grand’peine.

Or retournerons-nous au duc de Lancastre et au roi de Portingal, qui étoient en Gallice, et faisoient guerre forte et belle, et conterons comment ils persévérèrent.

CHAPITRE LXVIII.

Comment les gens au duc de Lancastre assaillirent la ville d’Aurench et fut prise, car la ville se rendit aussi comme les autres villes de Gallice.


Vous savez comme quoi les armes furent faites à Betances de messire Jean de Hollande et de messire Regnauit de Roye. Et là furent le roi de Portingal et sa femme. À leur département le roi de Portingal aconvenança au duc que, lui retourné en la cité du Port, il ne séjourneroit pas six jours que il ne chevaucheroit, car ses gens étoient tous prêts. Le duc envoya Constance, sa femme, en la ville de Saint-Jacques pour séjourner en la garde du seigneur de Fit-Vatier, un grand baron d’Angleterre, atout cent lances et deux cens archers ; et lui dit au partir de Betances : « Dame, vous vous tiendrez là en Compostelle, et nous irons, le roi de Portingal mon fils et nos gens, en Castille requerre nos ennemis, et les combattrons où que nous les trouvons. Celle saison ici verrons-nous si jamais aurons rien au royaume de Castille. » La dame répondit : « Dieu y ait part. »

Ainsi furent les départies pour le présent. Messire Thomas de Percy et messire Yon Fits-Varin convoyèrent la duchesse atout deux cens lances hors des périls, et puis retournèrent devers le duc qui jà étoit parti de Betances et chevauchoit vers une ville en Gallice que on nomme Aurench, laquelle lui étoit rebelle et ne lui vouloit obéir, car elle étoit forte, et y avoit en garnison Bretons qui l’avoient prise à garder sus leur péril. Et pour ce que ils sentoient bien que le duc et les Anglois viendroient celle part, ils s’étoient encore grandement fortifiés.

Le maréchal de l’ost avoit bien ouï parler de ceux d’Aurench, et que tous les jours ils se fortifioient. Si conseillèrent, le connétable, messire Jean de Hollande et il, le duc à là venir. Donc s’adressèrent toutes manières de gens à venir celle part, et firent tant que ils vinrent assez près, et se logèrent à l’environ.

La première nuit que ils furent là venus, il faisoit si bel et si chaud que sur le plus, car c’étoit environ l’Ascension. Si firent les seigneurs tendre tentes et trefs en ces beaux plains dessous les oliviers. Et se tinrent là la nuit et lendemain tout le jour, et sans assaillir, car ils cuidoient que ceux de la ville se dussent rendre légèrement et sans eux faire assaillir. Volontiers se fussent rendus les bons hommes de la nation de la ville, mais ils n’étoient pas seigneurs de leur ville, ainçois l’étoient Bretons, compagnons aventureux. Si étoient capitaines deux bâtards Bretons bretonnans. L’un étoit nommé le bâtard d’Auroy et l’autre le bâtard de Pennefort. Bien étoient bonnes gens d’armes ; et bien y parut, quand si vaillamment, hors de tous conforts, ils emprirent à garder la ville d’Aurench contre l’ost au duc de Lancastre.

Au tiers jour que les Anglois furent là logés et que ils eurent la ville avisée, et comment à leur avantage ils l’assaudroient, le connétable, le maréchal et l’amiral de la mer, ces trois greigneurs seigneurs et capitaines, firent sonner les trompettes. Si s’armèrent toutes gens et issirent de leurs logis et se trairent sur les champs ; et là furent-ils bellement départis en quatre parties pour assaillir en quatre lieux ; et puis s’en vinrent tout le pas et gentiment ordonnés en trompettant devant eux jusques à la ville, et s’arrêtèrent sus les fossés. Il n’y avoit point d’eau, mais il y avoit bon palis de bois au devant des murs, et y avoit de bonnes épines et des ronces où gens d’armes ne se pourroient jamais embattre ; car eaux n’y a nulles en ce pays là en trop de lieux, fors que en citernes que on recueille quand il pleut, et en été des neiges qui fondent et descendent des montagnes, dont eux et leurs chevaux sont mal servis. Or commença l’assaut en quatre lieux ; et se commencèrent à avaler gens d’armes et gros varlets ès fossés ; et apportoient haches en leurs poings, dont ils abattoient et tailloient ronces et épines devant eux à pouvoir.