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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/628

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de retourner devers le roi, ou de demourer. Si s’en conseilla à ses chevaliers. Le dernier conseil s’arrêta sur ce : que au cas que le roi d’Angleterre l’avoit institué et ordonné connétable et souverain de toutes ses gens, pour corriger et punir tous rebelles, il tiendroit les champs. Car, s’il faisoit autrement, il recevroit trop grand blâme, et se mettroit en l’indignation du roi, et montreroit que sa querelle ne seroit pas juste ni bonne ; et que trop mieux lui valoit mourir à honneur et attendre l’aventure, que montrer faute de courage. Si lui fut dit qu’il signifiât son état devers le roi, à Bristo, et que, Dieu merci ! encore tenoit-il les champs, ni nul ne venoit à l’encontre de lui. Tout ce fit le duc d’Irlande, lui étant à Acquessuffort. Et prioit en ses lettres au roi, que toujours il lui envoyât gens ; ainsi que le roi fit. Nouvelles vinrent aux oncles du roi qui se tenoient à Londres que le duc d’Irlande, atout grands gens, étoit en la marche d’Acquessuffort. Ils eurent conseil ensemble comment ils s’en cheviroient. Pour ce jour y étoient tous les seigneurs de parlement, l’archevêque de Cantorbie, le comte d’Arondel, le comte de Salbery, le comte de Northonbrelande, et moult d’autres barons et chevaliers d’Angleterre, qui s’y tenoient de leur côté, à toute la connétablie de Londres. Là fut conseillé et ordonné, car le duc de Glocestre le vouloit ainsi, que, tantôt et sans délai, on se mît sus les champs, et que le maire de Londres fit armer, par connétablies, toutes gens de Londres, dont ils pourroient être aidés. Car il disoit et mettoit outre, qu’il iroit combattre le duc d’Irlande, quelque part qu’il le trouveroit. Le maire de Londres qui étoit pour le temps, fit le commandement du duc, et mit un jour hors de Londres bien seize mille hommes tout armés, parmi les archers ; et ne prit à ce jour fors que gens d’élection, entre vingt ans et quarante ans ; les seigneurs dessus nommés avoient bien mille hommes d’armes. Toutes ces gens se départirent de Londres, et vinrent loger à Branforde, et là environ en ces villages, et au lendemain à Colebruc ; et toujours leur croissoient gens. Et prirent le chemin de Redingues, pour aller au dessus de la Tamise, et passer plus aisément ; car les ponts de Windesore et d’Estanes étoient rompus par l’ordonnance du duc d’Irlande ; et aussi ils alloient le meilleur chemin et le plus plain pays. Tant exploitèrent, qu’ils approchèrent Acquessuffort.

Les nouvelles vinrent au duc d’Irlande et à ses gens, comment les oncles du roi et l’archevêque de Cantorbie, le comte d’Arondel, et les autres seigneurs, et les Londriens atout grand’puissance, venoient. Donc se commença le duc d’Irlande à douter ; et demanda conseil. On lui dit que lui et ses gens prissent les champs, et se missent en ordonnance de bataille, et boutassent hors les bannières du roi. S’il plaisoit à Dieu, la journée seroit leur, car ils avoient bonne querelle. Tout ainsi comme il fut ordonné, il fut fait. On sonna les trompettes ; toutes gens s’armèrent ; et issirent hors d’Acquessuffort ceux qui logés y étoient ; et se mirent sur les champs toutes manières de gens, et en ordonnance de bataille ; et dévelopèrent les bannières du roi ; et faisoit ce jour moult clair et moult joli temps.

CHAPITRE LXXIX.

Comment les oncles du roi firent tant qu’ils gagnèrent la journée contre le duc d’Irlande ; et comment le duc d’Irlande s’enfuit, et plusieurs autres de sa compagnie.


Nouvelles vinrent au duc de Glocestre qui étoit logé à trois lieues près d’Acquessuffort, sur une petite rivière qui vient d’amont et chet en la Tamise dessous Acquessuffort, et étoit tout au long en une moult belle prée, que le duc d’Irlande étoit trait sur les champs et mis en ordonnance de bataille. De ce eut le duc de Glocestre grand’joie ; et dit qu’il le combattroit, mais qu’on pût passer la Tamise. Adonc sonnèrent, parmi son ost, les trompettes du délogement : et s’ordonnèrent en telle manière comme pour tantôt combattre. Ils étoient à deux lieues angloises près de leurs ennemis, mais qu’ils pussent à l’adresse passer la rivière de la Tamise. Or, pour tâter le fond et le gué, le duc de Glocestre envoya de ses chevaliers, lesquels trouvèrent la rivière en tel point que puis trente ans on l’avoit bien peu vue si basse ; et passèrent outre moult légèrement ces coureurs du duc qui allèrent aviser le convenant de leurs ennemis. Puis retournèrent et vinrent devers le duc de Glocestre, et lui dirent : « Monseigneur, Dieu et la rivière sont aujourd’hui pour vous ; car elle est si basse, au plus profond, que nos chevaux n’en ont pas eu jusques à la panse. Et vous disons, monseigneur, que nous avons vu