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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/635

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LIVRE III.

val, et allèrent à l’encontre de lui. Si eut à leur bien venue grands semblans et approchemens d’amour, et se conjouirent le roi et le duc, l’un l’autre, moult aimablement, et les chevaliers anglois et portingalois qui là étoient. Et sachez que tout l’ost du roi de Portingal n’y étoit pas, mais étoit demouré derrière en la garde de six hauts barons portingalois : le premier, le Pouvasse de Congne, Vasse Martin de Merlo, le Poudich d’Asvede, Gousse Salvase, messire Alve Perrière, maréchal, et Jean Radighes de Sar. Jean Fernand Percek et Jean Jeume de Sar et Goudesq Radighes de Sar[1], et plusieurs autres étoient avecques le roi ; et avoit le duc environ trois cens lances en sa compagnie. Si vinrent à Aurench ; et fut le roi de Portingal logé selon son état et selon leur aisement : car tout étoit plein de chevaux. Si furent là le roi et le duc et les seigneurs cinq jours, et eurent plusieurs conseils. Le dernier conseil fut qu’ils chevaucheroient ensemble, et entreroient au pays de Camp[2], et iroient vers la Ville-Arpent[3] où messire Olivier du Glayaquin, connétable d’Espaigne, se tenoit, et la greigneur garnison que les François avoient. Mais ils ne savoient comment ils pourroient passer la rivière de Deure, qui est felle et orgueilleuse par heures, et plus en été qu’en hiver, quand les glaces et les neiges fondent sur les montagnes pour la verbération du soleil ; et en hiver c’est tout engelé, et adoncques y sont les rivières petites. Nonobstant ce, tout considéré et avisé, ils conclurent de chevaucher vers ce pays de Camp, et que quelque part trouveroient-ils gué et passage. Et ainsi fut-il signifié parmi l’ost ; dont toutes gens furent réjouis, car ils avoient été moult oppressés et en grand danger à Aurench et là environ, et jà en y avoit-il moult de malhaitiés. Or se partirent le roi de Portingal et le duc de Lancastre d’Aurench : et chevauchèrent ensemble : mais leurs osts étoient séparés les uns des autres : pourtant qu’ils n’entendoient point l’un l’autre, ni ne se connoissoient. Et aussi ils le firent en partie, pour eschever les débats et les riotes qui se fussent pu mouvoir entre eux, car Portingalois sont chauds, bouillans et mal souffrans : et aussi sont les Anglois fels, dépiteux et orgueilleux. Si donnèrent les connétables des deux osts, et le maréchal, aux fourrageurs, marches et pays, pour aller fourrager ; non pas les uns avecques les autres, mais en sa parçon de contrée. Or chevauchèrent ces osts, où il y avoit bien gens pour combattre la puissance du roi Jean de Castille et tous ses aidans, pour une journée ; et tant exploitèrent, qu’ils vinrent sur la rivière de Deure, qui ne fait pas à passer légèrement, car elle est profonde, et de très hautes rives, et de grand’foison de roches rompues et nées dès le commencement du monde, si ce n’est à certains ponts : mais ils étoient défaits, ou si bien gardés, qu’impossible étoit à passer. Si étoient ces osts en grand’imagination et suspection comment ils passeroient ; et ne savoient où, ni quelle part. Or avint que messire Jean de Hollande, qui connétable étoit des Anglois, et les maréchaux de l’ost, messire Richard Burlé et messire Thomas Moreaux, ou leurs fourrageurs qui chevauchoient devant, trouvèrent un écuyer de Galice qui s’appeloit Douminghe Vagher[4], lequel traversoit le pays et avoit à passer celle rivière. Et bien savoit que tous les ponts du pays étoient défaits ; mais il connoissoit moult bien tous les avantages des passages : et savoit un pas où on pouvoit aisément passer l’eau, à pied et à cheval : et chevauchoit à l’adresse, à l’avantage de ce passage. Il fut pris et amené devers les seigneurs, dont ils eurent grand’joie ; et fut tant examiné de paroles, parmi ce que le connétable lui dit qu’il lui quitteroit sa rançon et lui feroit très grand profit, s’il lui vouloit, et à ses gens, montrer le passage ; car bien avoit-il ouï dire que sur celle rivière si felle il y avoit un bon gué, et certain passage. L’écuyer ne fut pas bien conseillé : et convoita le don du connétable, et à être délivré de leurs mains. Si dit : « Oui, je vous montrerai bon gué, voye et passage, où tout votre ost passera bien sans danger. » De ce eurent le connétable et les maréchaux moult grand’joie : et chevauchèrent ensemble : et envoyèrent dire au duc de Lancastre ces nouvelles et l’aventure qu’ils avoient trouvée. Donc suivirent les osts l’avant-garde, et le train du connétable et des maréchaux. Tant exploita l’avant-garde, qu’elle vint sur le gué de la rivière. L’écuyer espagnol entra tout premièrement dedans, et leur montra le chemin.

  1. Gonzalès Dias de Sà.
  2. Medipa del Campo.
  3. Vilhalpando.
  4. Domingo Vargas.