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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/8

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

le seigneur de Rosem, le seigneur de Mucident, le seigneur de Langurant, le seigneur de Gernoz et de Carlez, messire Pierre de Landuras et plusieurs autres, il s’avisa que il feroit un puissant et grand mandement pour résister contre les dessus dits, et être si fort que pour tenir les champs. Si escripsit devers messire Jean d’Armignac que à ce besoin il ne lui voulsist faillir, et aussi devers le seigneur de la Breth ; et avoit mandé en France le connétable et le maréchal de France messire Louis de Xancerre, et aussi le seigneur de Coucy[1] et plusieurs chevaliers et écuyers en Picardie, en Bretagne et en Normandie, qui tous étoient désirans de lui servir et de leurs corps avancer. Et jà étoient venus le connétable et le maréchal de France. Bien savoit le duc d’Anjou qu’il avoit un grand différend entre les cousins et amis des seigneurs de Pommiers, Gascons, et messire Thomas de Felleton, grand sénéchal de Bordeaux et de Bordelois. La raison pourquoi je la vous dirai et éclaircirai ci-après.


CHAPITRE II.


Comment Guillaume seigneur de Pommiers, atteint de trahison, et un sien clerc, furent décollés en la cité de Bordeaux, et d’autres chargés pour tels faits.


En devant ce temps, en l’an de grâce mil trois cent soixante quinze, étoit advenue une cruelle justice en la cité de Bordeaux, emprise, faite et accomplie par messire Thomas de Felleton lieutenant du roi d’Angleterre ens ès marches de Bordeaux, sur le seigneur de Pommiers[2] qui s’appeloit messire Guillaume, et tout par manière de trahison ; de quoi on fut moult émerveillé. Et furent pris un jour en la cité de Bordeaux, au commandement et ordonnance du sénéchal, ce sire de Pommiers et un sien clerc conseiller et secrétaire de la nation de Bordeaux qui s’appeloit Jean Coulon. Et fut prouvé sur eux, si comme je fus adonc informé, que le seigneur de Pommiers se devoit rendre, son corps et ses châteaux, François ; ni oncques ne s’en put excuser ni ôter que il ne l’en convint mourir. Si furent le sire de Pommiers et son clerc publiquement décollés en la cité de Bordeaux en la place, devant tout le peuple, dont on fut moult émerveillé ; et tinrent ce fait à grand blâme ceux du lignage ; et se départit de Bordeaux et de Bordelois ce gentil chevalier oncle au dessus dit, messire Aymon de Pommiers ; et prit ce fait à grand’vergogne, et jura que jamais pour le roi d’Angleterre ne s’armeroit. Si s’en alla oultre mer au Saint Sépulcre et en plusieurs autres voyages ; et quand il fut retourné, il s’ordonna François, et se mit, lui et sa terre, en l’obéissance du roi de France ; et défia tantôt le seigneur de l’Esparre, Gascon, et lui fit grand’guerre, pourtant qu’il avoit été au jugement rendu de faire mourir son neveu le seigneur de Pommiers.

Encore pour ce même fait et soupçon, et pour le châtel de Fronsac qui fut pris et livré aux François, qui étoit de l’héritage au seigneur de Pommiers, fut décollé en la cité de Bordeaux messire Jean de Plessac ; et en furent accusés de cette même trahison messire Pierre de Landuras et messire Bertran du Franc, et en tinrent prison à Bordeaux plus de sept mois. Mais depuis en furent-ils délivrés par le pourchas de leurs amis ; car on ne pouvoit rien prouver sur eux ; et en demeura un long-temps en grand danger et en tel tache et paroles messire Gaillard Vighier ; dont on étoit moult émerveillé, pourtant qu’il n’étoit pas au pays, mais en Lombardie avecques le seigneur de Coucy, et en le service du pape Grégoire, qui l’en aidèrent à excuser quand la connoissance leur en fut venue ; et en demeura le chevalier sur son

  1. Enguerrand VII, dernier des mâles de sa maison, qui posséda la seigneurie de Coucy, mort à Burse en Bithynie le 18 février 1397. Enguerrand de Coucy avait, ainsi qu’on l’a vu, épousé en premières noces Isabelle d’Angleterre, fille aînée d’Édouard III. Après la mort de ce prince, il rompit ses liaisons avec l’Angleterre pour s’attacher au roi de France. En conséquence Richard II fit saisir les domaines qu’il possédait en Angleterre.
  2. La famille des seigneurs de Pommiers, gentilshommes gascons, avait été et était peut-être encore pensionnaire de la France. Du Tillet fait mention de deux hommages du 8 août 1369. Le premier est d’Amanjeu de Pommiers pour mille livres tournois de rente, qu’il sera obligé d’abandonner, s’il vient à s’armer pour le roi d’Angleterre ; mais aussi, dans son serment de servir le roi de France contre tous, il excepte le roi d’Angleterre et ses enfans. Le second hommage et serment, semblable au précédent, est de Jean de Pommiers pour cinq cents livres de rente à vie. Du Tillet cite le trésor des chartes Layette hommagia 288 C. Ces sortes de pensions à hommages étoient à la mode depuis plus d’un siècle ; et par ce moyen les rois s’attachaient des vassaux, même parmi les princes, sans aliéner leurs domaines.